Quand le « Guide » divague

Mouammar Kadhafi, qui conteste aux Saoudiens leur leadership sur le monde arabe, rêve de recréer au Maghreb l’empire des Fatimides (Xe-XIe siècle).

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Il ne sait plus quoi inventer ! Désespérément en quête d’un rôle de premier plan dans le monde arabo-musulman, dont il déplore la faiblesse et les divisions, Mouammar Kadhafi rêve aujourd’hui de recréerÂÂ l’État de la dynastie chiite des Fatimides, qui régna sur le nord de l’Afrique de 909 à 1048 ap. J.-C. C’est en tout cas ce qu’il a annoncé le 2 avril à Agadez, au Niger, lors d’un rassemblement des chefs de tribus touarègues, puis à nouveau à Tripoli, le 15 du même mois. Rompus à la rhétorique et aux velléités « unitaires » du « frère Mouammar », les dirigeants des pays concernés, qui n’avaient à aucun moment été informés de ses vertigineux projets, se sont abstenus de toute réaction.
Qu’importe, puisque la nouvelle foucade Kadhafienne est avant tout une pierre lancée dans le jardin des dirigeants du Moyen-Orient. À l’heure où la rivalité politico-religieuse entre chiites et sunnites s’exacerbe dans la région, le « Guide » claironne que les sunnites sont en réalité des chiites qui s’ignorent et soutient ouvertement l’Iran. Les dirigeants saoudiens apprécient très modérément. Au moment même où Kadhafi lançait son initiative, à Agadez, le sommet de la Ligue arabe, à Riyad, consacrait le leadership que le roi Abdallah exerce désormais sur le monde arabe, en lieu et place de l’Égyptien Hosni Moubarak. Kadhafi, qui, bien sûr, s’y attendait, a boycotté la rencontre, estimant que ce rôle lui revient de droit, en tant que « doyen des chefs d’État arabes et leader mondial », comme il l’a expliqué à un visiteur arabe, à la veille du sommet.

Mégalomanie ? Dans son discours du 15 avril, Kadhafi s’est en tout cas posé en alternative à l’alliance sunnite entre Riyad, Le Caire et Amman, qu’il juge instrumentalisée par les États-Unis afin de contrer l’Iran chiite et d’imposer aux Palestiniens les conditions israéliennes. À l’en croire, les chefs d’État arabes ne sont « pas crédibles », ce ne sont que « de pauvres idiots avec lesquels personne n’acceptera de discuter sérieusement ». Comment, dans ces conditions, pourraient-ils faire aboutir l’initiative de paix israélo-palestienne lancée lors du sommet de Riyad ?
En réalité, le seul capable de favoriser un règlement du conflit, c’est lui, bien sûr, en raison du crédit dont, paraît-il, il dispose dans le monde arabe et auprès des grandes puissances. « Les Américains, explique-t-il, ont les moyens de faire pression sur Israël. Inévitablement, ils se tourneront vers nous parce que les jeunes Palestiniens et les jeunes Arabesnous écoutent et ont confiance en nous. » Sa solution ? L’« Isratine », un État unique israélo-palestinien sur le territoire de la Palestine historique. Le fait que les dirigeants de l’État juif rejettent cette hypothèse plus vigoureusement encore que celle d’un retrait total des Territoires occupés depuis 1967 est, à ses yeux, tout à fait secondaire. On l’aura compris : la réalité est instamment priée de se plier aux fantasmes du « Guide ».

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« Que Dieu protège les dirigeants arabes de leurs peuples », ironise-t-il. Apparemment, il est tout disposé à donner un coup de main aux peuples en question. « Je vais parrainer
tous les mouvements nationalistes arabes, y compris les baasistes et les communistes, jure-t-il. Je suis leur référence, leur soutien et leur protecteur. » La menace vise, semble-t-il, davantage les dirigeants du Proche-Orient que ceux du Maghreb. Entre 1970 et 1990, Kadhafi a entretenu à grands frais toute une pléiade d’opposants dans le monde arabe, en Afrique et ailleurs. Mais les temps ont changé. Depuis la normalisation de ses relations avec les États-Unis – qu’il prend d’ailleurs bien soin de ménager dans ses proclamations enflammées -, il n’est plus guère pris au sérieux. Le lion rugit encore, mais il ne fait plus peur. Ce que le « Guide » de la Jamahiriya libyenne semble ne pas avoir compris, c’est que « les masses » ont encore moins confiance en lui que dans les autres chefs d’État arabes.

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