Mieux qu’une finale de la CAN

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

A Casa, on vote Chirac. Dans les salons huppés de Casablanca, la télévision est branchée sur LCI ou iTélé depuis plusieurs semaines. Si les esprits sont troublés par la vague d’attentats avortés, les conversations roulent sur l’élection présidentielle française. Et les Marocains se déchirent entre les résolument royalistes ou les furieusement sarkozystes. Le jour J, la sagesse commande de se réfugier chez un architecte qui n’était pas fixé. Il comprend, dit-il, que les Français soient indécis. « Les trois principaux candidats sont tous de qualité et leur offrent pour l’essentiel les mêmes programmes. Sur les problèmes internationaux, ils sont tellement d’accord qu’ils n’éprouvent même pas le besoin d’en parler. Faute de divergence, les candidats s’affrontent sur des détails. Il n’y a pas d’enjeu. » Dès 17 heures (19 heures en France), les résultats tombent (grâce au sondage non publié mais disponible). Leur confirmation ne soulève pas de controverse. « C’est dans l’ordre des choses. Sarkozy est en tête parce qu’il est le meilleur. » Bayrou est jugé égal à lui-même, ni qualités excessives ni défauts rédhibitoires, « vraiment au centre, quoi ». Ségolène, ici, elle « ne remplit pas l’oeil », comme on dit en arabe. Elle est charmante mais pas convaincante, on l’admire, mais on n’y croit pas.
Le téléphone sonne sans cesse. Des Marocains qui votent en France (personne ne dit Français) font connaître leur choix. Deux catégories se dessinent. Les jeunes sortis des grandes écoles qui travaillent dans des grosses boîtes ont voté Sarkozy, parce qu’il insiste sur la valeur travail. Les autres préfèrent Bayrou avant de se résigner à Ségolène.
Qu’en est-il dans les milieux du pouvoir ? La continuité l’emporte sur Comment, de Tunis à Addis-Abeba, les Africains se passionnent pour l’élection. le changement. On vote Chirac, et faute de Chirac, Sarkozy, son héritier légitime. Pas raisonnable ? Peut-être, mais c’est le coeur qui parle. Une note dissonante cependant du côté de ce ministre socialiste promis à un grand avenir : « Vivement Ségolène pour que Dominique [Strauss-Kahn] soit Premier ministre. » Pas sûr ? Mais c’est encore le coeur

Mobilisation des binationaux au Sénégal. Dakar, lundi 23 avril 2007. Les mines réjouies de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal à la une des quotidiens nationaux sont à chaque coin de rue. L’élection présidentielle française intéresse les Sénégalais. C’est un sujet de conversation dans les bureaux, dans les restaurants, sur les campus Du côté de la classe politique, ce scrutin est bien entendu suivi aussi de très près. Il est à l’ordre du jour des réunions du comité de direction du Parti de l’indépendance et du travail. Pour Amath Dansokho, leader de cette formation de gauche, Ségo est « intelligente, volontaire, déterminée et libre ». Elle incarne l’espoir d’une relation France-Sénégal meilleure.
Chez les socialistes, l’heure est au calcul et à la réjouissance. « Ségolène sera forcément la première femme à accéder à la présidence, les chiffres ne trompent pas », soutient Abdoulaye Wilane, le chargé de communication du bureau politique du PS. Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du parti, est d’ailleurs au pays de Jeanne d’Arc depuis le 21 avril pour soutenir son alliée de l’Internationale socialiste. Il restera peut-être aux côtés de Ségo jusqu’au second tour, indique Abdoulaye Wilane, qui ne cache pas que son parti a mené en France et au Sénégal un lobbying discret auprès des binationaux. Pour lui, le « renouveau démocratique et politique de la France » est l’enjeu du scrutin.

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Inquiétude à Tunis. Quartier de La Goulette, dans la banlieue nord de Tunis, le 22 avril. Loin de l’ambiance feutrée des salons où l’on suit de près la présidentielle française, un gardien d’immeuble originaire de Chenini, un petit village du Sud tunisien, se passionne lui aussi pour cette élection, bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en France. Pour l’occasion, il a sorti le grand jeu : télévision couleur installée dans le hall d’entrée, il arbore un tee-shirt où est inscrit en arabe le nom de Ségolène Royal.
À quelques minutes du résultat, la tension est palpable. « Et si elle n’était pas présente au second tour ? » Puis, à 20 heures, la délivrance : sa favorite est bien là. Qu’importe l’écart avec le candidat de droite, il est convaincu que « sa Ségolène », comme il l’appelle, l’emportera le 6 mai. À ce soutien indéfectible, deux raisons. D’abord, Ségolène lui plaît : « C’est une belle femme. » Enfin, il s’inquiète : si Nicolas Sarkozy est élu, que deviendra son fils, maçon de formation, parti il y a deux semaines à la recherche d’un avenir meilleur en France ?

Addis-Abeba : the girl and the guy. Le premier tour de l’élection française a suscité un intérêt très contrasté à Addis-Abeba. Siège de l’Union africaine et de plusieurs agences régionales de l’ONU, la capitale éthiopienne brasse des communautés étrangères très diverses qui n’ont pas vécu l’événement de la même façon. À l’instar de la grande majorité des ressortissants d’Afrique anglophone, les Éthiopiens n’ont montré qu’un enthousiasme limité pour la joute électorale hexagonale. Le 22 avril, seules les télévisions branchées sur TV5 en lieu et place de la traditionnelle BBC dans le hall des hôtels internationaux venaient perturber le quotidien. Du second tour qui se profile le 6 mai, beaucoup retiennent surtout un duel entre « the girl and the guy » Les plus avertis, telle cette fonctionnaire sud-africaine de l’Organisation internationale du travail, croient déceler dans la performance de Nicolas Sarkozy « un glissement à droite » de la France, mais reconnaissent se sentir nettement plus à l’aise avec la politique britannique ou américaine
Dans les milieux francophones, en revanche, le marathon pour l’Élysée suscite presque les mêmes débats passionnés qu’une phase finale de Coupe d’Afrique des nations. « Sénégalais, Ivoiriens, Gabonais : tout le monde était devant son poste de télé. Les téléphones n’ont pas arrêté de sonner. On ne parle que de ça, confie une Burkinabè. Peut être parce qu’avec le problème des visas, l’enjeu est, pour nous, autrement plus important. » Mais, à l’heure des pronostics pour le second tour, beaucoup continuent de déplorer le choix de Ségolène Royal comme championne du Parti socialiste. Pour affronter Sarkozy en finale, Dominique Strauss-Kahn aurait, disent-ils, davantage fait l’affaire

Bové au pays des Hommes intègres. Ouagadougou, le 23 avril. Aux terrasses des cafés de l’avenue Kwame-Nkrumah, les conversations portent sur le 6 mai. À cette date, les électeurs devront choisir leurs députés. Mais plus que les législatives burkinabè, c’est le duel Royal-Sarkozy du même jour qui est au centre des discussions. Des débats qui vont bien au-delà de la petite communauté française du Burkina. Certes, Sarkozy, candidat de « l’immigration choisie », fait peur aux Ouagalais. Mais son style direct et ses propos sulfureux suscitent également une certaine fascination. 41,3 % pour Ségolène Royal, 27,4 % pour Nicolas Sarkozy les électeurs français ont choisi ici de placer la représentante du Parti socialiste en tête du premier tour. Parmi eux, environ un tiers de binationaux, qui ont clairement exprimé leur méfiance vis-à-vis du programme du chef de l’UMP, même si le pays des Hommes intègres compte beaucoup moins de candidats au départ vers la France que le Mali ou le Sénégal.
Autre fait marquant de ce scrutin, la forte participation. Rien qu’au Burkina, 1 159 personnes se sont déplacées pour voter (sur quelque 3 000 ressortissants inscrits sur les listes consulaires), contre un peu plus de 700 en 2002. De quoi susciter l’envie des leaders politiques locaux, qui se souviennent que, lors des municipales de mai 2006, leurs électeurs ne se sont pas précipités dans les bureaux de vote.
Enfin, dans ce pays agricole qu’est le Burkina, on salue la « performance » du leader paysan José Bové (21 voix), qui devance le président du Front national, crédité de seulement 16 voix. « Il est temps pour lui de prendre sa retraite », constate l’opposant Benewendé Sankara, chef de file de l’Union pour la renaissance (Unir/MS).

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