Il a métamorphosé son pays

Pour

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Il est facile de jeter l’opprobre sur le désordre politique qui règne au Nigeria. Un président qui, n’ayant pas réussi à changer la Constitution pour s’offrir un troisième mandat, use de ses pleins pouvoirs pour essayer (en vain) d’empêcher son vice-président
Atiku Abubakar de se présenter. Un embrasement du Delta du Niger et des États du Nord en période électorale. Le scénario est nauséabond. Mais s’en tenir à ces épisodes, c’est oublier que cela aurait pu être pire…
Pour évaluer le bilan d’Obasanjo, il faut se rappeler l’histoire du Nigeria depuis la colonisation jusqu’à l’indépendance, quand les cartographes britanniques ont accolé ensemble trois régions distinctes, quand des alliances et intérêts rivaux se sont entrebattus pour contrôler le pays et ses richesses, le pétrole et le gaz. Il faut ensuite se souvenir de la succession de coups d’État, de dictatures militaires et de brefs intermèdes démocratiques, sur fond d’extorsion des deniers publics dans l’impunité la plus totale.
Au bout du compte, on se souviendra du général Olusegun Obasanjo pour trois raisons : la première transmission civile du pouvoir depuis l’indépendance, les réformes structurelles et le retour d’un Nigeria respectable et actif au sein de la communauté internationale.
Comme le rappelait Obasanjo dans une récente interview au Financial Times, nombreux étaient ceux qui, en 1999, prédisaient que son élection à la présidence serait un désastre, et que le Nigeria renouerait avec les violences et les divisions du passé. « Beaucoup ne pensaient pas que ça pourrait marcher. Ils disaient : Êtes-vous fou ? Le fait même qu’on se chamaille pour faire de la politique est une indication que le système fonctionne. On veut participer. » C’est clair : les compétiteurs ne jouent plus aux petits soldats en cherchant à gagner le pouvoir à la pointe du fusil, ils font de la politique. Oui, la bavure n’est jamais loin. Les votes, dit-on, s’achètent, se vendent et s’échangent comme des marchandises au gré de politiciens fédéraux immensément riches et corrompus.
Tout cela est vrai. Mais la méthode change peu à peu. Désormais, il s’agit d’un système politique, et non d’une dictature avec un Parlement fantoche. En mai 2006, le Sénat a marqué un bon point, s’opposant aux tentatives d’Obasanjo de modifier la Constitution.
L’élection présidentielle et la transmission du pouvoir d’un civil à un autre ont eu lieu.
Le deuxième changement à porter au crédit d’Obasanjo est le nettoyage des écuries d’Augias de l’économie nigériane. Il est difficile de décrire l’état dans lequel il l’a trouvée. Au risque de simplisme, on peut dire que la pierre angulaire d’une économie moderne est un secteur financier capable de prêter de l’argent aux entreprises pour qu’elles se développent et créent des emplois. Ce n’était pas le cas lorsque Obasanjo
est arrivé au pouvoir. Les 89 banques en activité ne cherchaient guère qu’à se créer des rentes de situation dans des projets pétroliers. Le pays se débattait dans d’énormes dettes, à la suite des folles dépenses en pétrodollars engagées dans les années 1980, avant l’effondrement des cours du pétrole. Elles ont été accrues par dix années de régimes militaires kleptocrates et couronnées par la débauche des années Sani Abacha, où
des milliards de dollars ont été détournés. Obasanjo a nommé comme ministre des Finances une femme à poigne, Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne administratrice de la Banque mondiale, et l’a mise à la tête d’une équipe qui comprenait le président de la Banque centrale
nigériane, Charles Soludo, le chef de la croisade anticorruption, Nuhu Ribadu, et le ministre des Minéraux, Oby Ezekwesili (aujourd’hui vice-président Afrique de la Banque mondiale la rigueur avec laquelle il a surveillé le service des achats officiels a permis d’économiser des milliards de dollars).
Les résultats ont été surprenants. D’abord, un accord de 30 milliards de dollars sur la dette extérieure qui a fait gagner 18 milliards de dollars au Nigeria sur les remboursements. Ensuite, une restructuration du secteur bancaire qui a sorti le pays de la liste des pôles de blanchiment d’argent dressée par l’ONU et imposé la création de 25 grandes banques avec une capitalisation minimale (25 milliards de nairas, 195 millions de
dollars). Ces établissements n’ayant pas le droit de toucher de l’argent public bon
marché, ils sont contraints de trouver des clients dans le secteur privé. Du jour au lendemain, les entrepreneurs locaux ont donc trouvé des banques nigérianes assez importantes pour leur faire des prêts, qui ne demandaient pas mieux ! L’industrie locale s’est modernisée et a prospéré, évolution souhaitable s’il en est. Fin 2005, les prêts à l’économie locale avaient fait un bond de 88 %.
Obasanjo a également le mérite d’avoir réduit la dépendance pétrolière. La production
agricole, qui dégringolait sous les régimes précédents, a progressé de 8 % par an. L’économie s’est également diversifiée dans les télécommunications, dont les effets d’entraînement sur le reste de l’activité sont incontestables. Le secteur minier, naguère stagnant, s’est réveillé. De nouveaux géants font leur apparition, sur le modèle des chaebols (conglomérats) sud-coréens, avec l’ambition de devenir de solides compétiteurs sur les marchés mondiaux. Ils ne sont pas parfaits et sont peut-être en partie corrompus, comme l’étaient les chaebols. Mais en Corée du Sud, ils ont largement contribué à catapulter le développement. Bref, contrairement aux pays pétroliers voisins, le Nigeria affiche de vrais signes de relance.
Si l’on ajoute à cela la respectabilité acquise sur la scène internationale (alors que le pays avait été chassé du Commonwealth pour ses atteintes aux droits de l’homme, en 1995), on a le sentiment que le pays a enfin entamé sa marche en avant. Après tant d’années de désordre, de gaspillage et de violence, après l’accaparement du pouvoir par tant de militaires indignes, il existe au moins aujourd’hui un fondement sur lequel bâtir. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de failles il y a plus de choses qui vont mal que de choses qui vont bien , mais il y a au moins de l’espoir. Dans un pays comme celui-ci, il faut faire beaucoup de compromis et de pactes déplaisants, et Obasanjo n’y a pas échappé. Il a consacré son premier mandat à consolider son pouvoir, mais il a profité du second pour faire des changements. Il faudra au moins une dizaine
d’années pour qu’ils portent leurs fruits, en particulier en économie. Mais la transmission du pouvoir politique de civil à civil a eu lieu.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires