Il a manipulé une démocratie encore fragile

Contre

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Il y a plusieurs Obasanjo. Il y a le général qui rend le pouvoir aux civils après une transition démocratique, en 1979, et le chef d’État deux fois élu tenté par une banale modification constitutionnelle pour briguer un troisième mandat, en 2006. Il y a le président en exercice de l’Union africaine (juillet 2004-janvier 2006) qui parcourt le continent en médiateur, et le dirigeant bien en peine de recoller les mille morceaux de la fédération nigériane. Il y a le patriarche dévoué capable de piquer une sainte colère lorsqu’une énième catastrophe aérienne endeuille son pays, le simple éleveur de volailles qui aspire au repos du guerrier dans sa ferme d’Otta, près de Lagos, et le chef du People’s Democratic Party (PDP) qui ourdit, au vu et au su de tous, l’élection d’un docile successeur. Il y a l’artisan intransigeant de la lutte contre la corruption,
et le stratège qui élimine ses adversaires politiques avec la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC), l’institution précisément chargée de traquer les mafias qui parasitent le Nigeria.
La communauté internationale, trop ravie de retrouver un interlocuteur fréquentable à la tête du premier producteur de pétrole subsaharien après cinq années de dictature de Sani Abacha, a généralement préféré s’en tenir à l’Obasanjo des bons jours. Lors de la première élection de ce dernier, en février 1999, la majorité des chancelleries ferme les yeux sur les fraudes qui entachent clairement le scrutin. Bis repetita en 2003 : le
superbe score (99,92 %) du président sortant dans l’État d’Ogun, son fief, ne remet pas en question la transparence du vote, pas plus que les 10 millions de fausses cartes d’électeur, les assassinats et autres intimidations. À Paris comme à Washington (qui achète aujourd’hui plus de 10 % du pétrole nigérian), on estime que la stabilité du Nigeria, déterminante pour celle de la région, est déjà un grand pas. Alors, la démocratie
Pour un nombre croissant de ses compatriotes, le vrai Obasanjo est celui des jours « sans ». L’homme providentiel de 1999 qui promet le partage des richesses n’a pas tenu
parole. Huit ans plus tard, le prix du baril est passé de 10 à 65 dollars (après des pics à 70 dollars), et 70 % de la population continuent de vivre en dessous du seuil de
pauvreté ; avec moins de 2 dollars par jour. À l’échelon fédéral, l’EFCC, créée en 2004 et louée à l’étranger comme le symbole du volontarisme présidentiel, a bien fait tomber quelques têtes corrompues de haut rang (gouverneurs, ministres). Mais au niveau local, le
détournement est resté la règle : dans l’État pétrolier de Rivers, l’un des mieux dotés du pays, mais aussi l’un des plus misérables, le budget de voyages du bureau du gouverneur, le « docteur » Peter Odili, s’élève à 65 000 dollars par jour, dénonce l’ONG Human Rights Watch (HRW). Au même moment, les salaires du personnel de santé accusent
plusieurs mois d’arriérés mais figurent au budget de l’administration locale
Après huit années d’Obasanjo, la violence et les pétrodollars sont toujours les deux nerfs de la politique. Les Area Boys, ces jeunes voyous payés par des potentats locaux pour neutraliser toute menace au règne des partis, ont parasité les scrutins de 1999, de 2003 et de 2007. Au pire, on se dit que le chef de l’État n’exclut aucun moyen, pas même
la terreur, pour garantir la victoire du PDP, sa formation politique. Au mieux, qu’il est impuissant devant les multiples lignes de fracture qui traversent la fédération. Il y a certainement un peu des deux.
Depuis 1999, les seuls affrontements intercommunautaires ont entraîné le déplacement de 3 millions de personnes à l’intérieur du pays et la mort de 14 000 autres, rapporte l’International Crisis Group (ICG). Les indigènes les citoyens capables de prouver que leurs grands-parents sont natifs de l’État où ils vivent continuent de jouir de privilèges dans l’attribution des emplois dans la fonction publique et les entreprises
paraétatiques, au détriment des « non-indigènes », également appelés « colons ». Régulièrement, la distinction inscrite dans la Constitution de 1999 donne lieu à des affrontements mortels entre les deux groupes : crises de Jos (État du Plateau) en 2001, de Wase (Plateau également) en 2002, 2003 et 2004 Pour régler le problème, Obasanjo décrète, en 2004, l’état d’urgence au Plateau et remplace son gouverneur par un militaire à la retraite. Deux ans plus tard, les affrontements reprennent. Tout démocrate
qu’il prétend être, le général n’a jamais vraiment remisé son kaki au vestiaire,
privilégiant souvent la manière forte à la réforme en profondeur.
Sur la question religieuse, hautement sensible dans un pays où chrétiens et musulmans sont à peu près en nombre égal, le chef de l’État se montre néanmoins plus timide. Entre 1999 et 2000, la charia est successivement instaurée dans douze États du Nord. Certaines
dispositions de la loi islamique contredisent la Constitution (l’abjuration, par exemple, interdite par la charia tandis que la Loi fondamentale garantit la liberté de conscience et de religion). S’il déplore ouvertement la difficile cohabitation entre communautés religieuses, le chrétien yorouba qu’est Obasanjo choisit le statu quo et ne prend aucune disposition institutionnelle. Son successeur héritera d’un fardeau empoisonné : celui d’une fédération où chacun, qu’il soit yorouba, igbo ou haoussa (les trois ethnies majoritaires), chrétien ou musulman, prétend que le pouvoir lui revient d’office. La zone de nondroit du Delta du Niger qui regroupe les États pétroliers , où
des milices exigent une plus juste répartition des richesses à coups d’enlèvements, d’assassinats et de sabotage des installations pétrolières, en est l’exemple exacerbé.
À la fin de son second mandat, le « rédempteur » du Nigeria s’est montré plus préoccupé par la sauvegarde de son pouvoir que par le salut de son peuple. En juin 2006, il transfère au ministère des Affaires étrangères Ngozi Okonjo-Iweala (qui finira par en démissionner), superministre des Finances nommée en 2003 pour mener un ambitieux programme de réformes économiques. Comme le Sénat, cette dernière s’était opposée, un mois plus tôt, à la tentative de modification constitutionnelle qui devait permettre au chef de l’État de briguer un troisième mandat.
Finalement, les institutions censées protéger la démocratie nigériane de ses vieux démons sont devenues des instruments au service du président : l’EFCC, qui a notamment inculpé le principal opposant à Obasanjo, Atiku Abubakar, et la Commission électorale nationale « indépendante » (Inec), qui a interdit au même Atiku de se présenter à la
présidentielle (pour être contredite, un mois plus tard, par la Cour suprême). Chez Obasanjo, le despote n’est jamais loin du démocrate.

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