En mémoire de l’innommable

À l’heure de la réconciliation nationale, le pays rend hommage aux victimes du génocide. Et demande à la France de reconnaître sa responsabilité dans la tragédie.

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Entre la France et le Rwanda, le bras de fer se poursuit. Le 18 avril, Kigali a déposé une requête contre Paris devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye. En cause, les mandats d’arrêt délivrés l’année dernière par le juge français Jean-Louis Bruguière à l’encontre de neuf responsables rwandais soupçonnés d’avoir joué un rôle dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana. Avant ce nouvel épisode, le Rwanda s’est souvenu, du 7 au 13 avril, de son passé douloureux.
Drapeaux en berne, boîtes de nuit fermées, restaurants quasiment vides La nuit, quelques promeneurs battent le pavé, ombres insolites dans un décor désolé. La télévision diffuse en boucle des images insoutenables des massacres de 1994. C’est dans cette ambiance pesante que le Rwanda a rendu hommage à ses morts, fauchés par la folie meurtrière de certains de ses enfants. La commémoration a commencé le 7 avril, à Murambi, dans la province du Sud, où 40 000 personnes ont connu le martyre le 21 avril 1994. Rappelant ce sanglant épisode, le président rwandais, Paul Kagamé, annonce la couleur : « Certains pensent qu’il y a des choses qu’un chef d’État ne devrait pas dire. Mais cela me gênerait de ne pas dire certaines choses. » Il évoque la responsabilité rwandaise dans le génocide, l’échec de l’État, des Églises, des familles face à la tragédie. Reconnaître cette responsabilité, c’est l’unique façon, ajoute-t-il, pour les Rwandais d’être crédibles. « C’est impossible si nous ne nous remettons pas en question. »
La communauté internationale, qui n’a pu empêcher l’horreur, n’a pas été épargnée. Cible de choix : la France. Pour Kagamé, les Français, « qui ont commis le génocide ici », doivent se repentir et demander pardon aux Rwandais. S’appuyant sur un témoignage, il affirme que des soldats français de l’opération Turquoise ont joué au volley-ball sur des fosses communes. « Mépris pour les personnes tuées. Mépris pour tous les Rwandais. » Mais le ministre des Affaires étrangères Charles Murigande se veut plutôt apaisant : « La demande minimale que nous adressons à Paris est qu’il fasse un examen de conscience en reconnaissant son rôle négatif dans la tragédie rwandaise. En plus, la France n’a joué aucun rôle positif dans la reconstruction de notre pays. »
Mercredi 11 avril, fin d’après-midi. Sous le soleil couchant, une longue procession commence à Kicukiro, un quartier de Kigali. Destination : la colline de Nyanza. Au sommet, des tombes. Deux tribunes ont été installées face à une stèle qui attend d’être inaugurée. Une musique funèbre s’échappe de haut-parleurs. Progressivement, la foule grandit. Des foulards violets, signe de deuil, ornent les cous. Les derniers arrivants s’asseyent à même la pelouse, autour de la stèle. La nuit s’installe sur la colline. Des bougies s’allument, en même temps qu’un ardent feu de bois. La nuit du souvenir peut commencer. Un vent sec et froid souffle, comme s’il convoyait l’esprit des morts. Les petites flammes des bougies dansent.
Sur cette colline, 2 000 Rwandais ont été exécutés aux premiers jours du génocide. Parmi eux, Boniface Ngulinzira, ministre de Juvénal Habyarimana et principal négociateur de l’accord d’Arusha conclu en juin 1993. Fuyant leurs bourreaux, ils s’étaient réfugiés dans une école, sous la protection de 92 paras belges. Mais ces derniers plient bagage alors que les tueurs cernent déjà l’école technique Don-Bosco. L’inévitable se produit : des miliciens Interahamwes, après avoir emmené les 2 000 personnes sur la colline, se livrent à un carnage. Un épisode parmi d’autres. À Nyanza, ce 11 avril, la nuit de la commémoration se prolonge, entrecoupée de témoignages, de rappels historiques. De plaintes aussi. Plusieurs centaines de personnes, des milliers sans doute, écoutent, émues.
Une commémoration, c’est aussi des parcours personnels d’hommes et de femmes hantés par une idée : enterrer dignement leurs morts. Et comprendre pourquoi le génocide a eu lieu. Une véritable catharsis. Thérèse, mère de quatre enfants, est de ceux-là. En 1994, 33 membres de sa famille ont été tués, dont son mari, sa mère, ses quatre soeurs Elle se réfugie en France pour essayer de recoller les morceaux de son existence brisée. Mais, sans cesse, elle pense à ses morts sans sépulture. Sa douleur, mille fois, se réveille. Dès 1995, elle décide de revenir au Rwanda pour chercher les corps des siens. En 1998, elle retrouve les restes de son mari. En 2004, elle est encore là, en avril. Les corps de l’une de ses soeurs et de ses enfants sont retrouvés. « Le mois d’avril, explique Thérèse, est l’occasion de me recueillir avec les autres, de visiter les sites où reposent les miens. Ma mère et une de mes soeurs ont été tuées un 10 avril. À cette date, je passe partout où se trouve un mort de ma famille, et je dépose une gerbe de fleurs. Cela m’apaise, car j’ai l’impression de leur avoir rendu visite. » Sa mère et ses soeurs se trouvent dans une fosse commune, à Gahanga. Cette année, elle espérait les exhumer pour de vraies obsèques. Mais la fosse contient environ 69 000 corps. Thérèse croyait qu’ils seraient tous exhumés et tranférés au mémorial de Gisozi. L’opération est onéreuse. L’administration propose d’aider les familles à ériger un mémorial à Gahanga. Mais c’est au-dessus de leurs moyens et cela risque de prendre beaucoup de temps. Une question continue à torturer Thérèse, malgré tout : « Pourquoi l’idéologie génocidaire a-t-elle pu entrer dans la tête des gens ? » Au Rwanda, les coeurs continuent de saigner. Les consciences, blessées, ont du mal à guérir. Les peurs rôdent. D’où cet appel de Paul Kagamé, le 7 avril, à Murambi : « Les rescapés doivent pardonner, même s’il n’est pas question d’oublier. » Le 13 avril, sous une pluie battante, le deuil officiel s’achève sur la colline de Rebero, à Kigali. Des hommes politiques hutus et tutsis, victimes du génocide, y reposent côte à côte.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires