Du passé, faisons table rase

Avec ce scrutin, la scène politique française prend un sérieux coup de jeune.

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Le 22 avril 2007 a marqué la fin d’un cycle inauguré avec la victoire de François Mitterrand en 1981. La vie politique française a pris un sérieux coup de jeune. Le second tour du 6 mai opposera Nicolas Sarkozy, 52 ans, à Ségolène Royal, d’un an son aînée. Deux candidats qui se présentaient pour la première fois. Un homme et une femme. Le centriste François Bayrou, arrivé troisième, n’est guère plus âgé : 56 ans. Jean-Marie Le Pen, 79 ans, qui se présentait pour la cinquième fois, et rêvait de rééditer sa performance du 21 avril 2002, a essuyé un cinglant revers, avec seulement 10,4 % des voix. Sa déconfiture pourrait annoncer un déclin rapide de son mouvement, le Front national, qui a longtemps prospéré sur le vote protestataire. Les autres petits candidats, Verts, communistes, chasseurs et trotskistes de diverses obédiences, dont l’audience n’avait cessé de grandir entre 1995 et 2002, ont été laminés, à l’exception d’Olivier Besancenot. À droite comme à gauche, on a voté utile, pour des candidats plus en phase avec les aspirations et les attentes confuses d’un pays déboussolé que ne l’étaient Jacques Chirac et Lionel Jospin il y a cinq ans.
Assurément, le rapport qu’entretiennent les Français avec la chose publique a changé. Les électeurs ne croient plus qu’il soit possible de « changer la vie » ou de « réduire la fracture sociale » par la grâce d’une alternance. Ils savent maintenant que les programmes et les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Les candidats se sont mis au diapason de cette évolution, en remisant les idées au placard et en se contentant d’afficher leurs valeurs. D’où un langage concret, souvent au ras des pâquerettes, et une personnalisation excessive des débats. Bayrou s’est borné à mettre en avant son intention de réduire la dette. Pour le reste, son « programme » sonnait étonnamment creux. Ségolène Royal, elle, a fait campagne sur sa « méthode », les débats participatifs, et sa féminité. Sarkozy, le plus tranchant des trois, s’est posé en défenseur de la valeur travail et de l’identité nationale
Avec 31,18 % des voix le 22 avril, il a réalisé un résultat supérieur à ses attentes et peut pavoiser. Chantre d’une droite populaire et décomplexée, flirtant avec le populisme, courtisant assidûment les électeurs du Front national, partisan d’une rupture à peine déguisée avec l’héritage des années Chirac, il s’est fié entièrement à son intuition. Sourd aux attaques des « tenants de la pensée unique », il n’a pas voulu se laisser intimider par l’hypothèse d’un « référendum anti-Sarkozy », caressée et entretenue par ses adversaires. Pourtant, son caractère, son style et sa méthode ont été au coeur de la campagne et le resteront jusqu’au 6 mai. Sarkozy est à la fois le disciple le plus doué de l’animal politique qu’a été Jacques Chirac et son antithèse presque absolue. Comme le président sortant, il est opportuniste et a le goût du pouvoir. Sa brutalité, son côté fonceur, parfois irréfléchi, son tempérament de feu, le rapprochent aussi du Chirac d’avant 1994. Mais, foncièrement, les deux hommes se ressemblent peu. Chirac s’apparentait bien davantage à un radical-socialiste mâtiné de gaullisme qu’à un représentant de la droite libérale et autoritaire. Sarkozy se revendique clairement conservateur et atlantiste. Et prétend parler au « pays réel ». Un monde et une génération les séparent. Sarkozy a transformé l’UMP en forteresse et marginalisé les derniers chiraquiens, comme le malheureux Dominique de Villepin, ou Jean-Louis Debré, le fidèle grognard, recasé in extremis au Conseil constitutionnel. Le futur gouvernement sera « resserré » (quinze ministres) et « paritaire ». Sa formation permettra de promouvoir d’autres nouveaux visages, notamment des jeunes femmes issues des minorités visibles, comme Rama Yade et Rachida Dati, la porte-parole du candidat, qui pourrait aussi se voir attribuer une circonscription en or : le fief de Nicolas Sarkozy à Neuilly. Tout un symbole
À gauche également, on a fait table rase du passé. Ségolène Royal a évincé les éléphants. Lionel Jospin ne reviendra plus, pas plus que Laurent Fabius. Les nouveaux ténors du parti s’appellent François Rebsamen, le maire de Dijon, Jean-Marc Ayrault, celui de Nantes, Arnaud Montebourg ou Julien Dray, tous deux très proches de la candidate. Dans l’hypothèse d’une victoire le 6 mai, Jean-Louis Bianco, son directeur de campagne, sera appelé à exercer des responsabilités importantes et peut viser Matignon. Dominique Strauss-Kahn, chef de file du courant social-démocrate et moderniste, est un peu dans un rôle de joker. Ségolène ne lui a pas pardonné ses « coups bas » pendant la primaire et n’a aucune envie de faire appel à ses services, mais elle pourrait changer d’avis si les circonstances l’imposaient. DSK est en embuscade, d’ores et déjà positionné pour « l’après ». Car si Royal est battue au second tour, le PS entrera dans une forte zone de turbulences. Plébiscitée en novembre 2006 par les militants parce qu’elle avait une chance de battre Sarkozy, elle sera comptable de la défaite. Sans doute une cohésion de façade sera-t-elle maintenue jusqu’aux législatives de juin. Mais, après le 17, l’appareil du parti, qu’elle a tenu à l’écart de la campagne au nom de « sa liberté », pourrait bien prendre sa revanche. Rien ne peut être exclu, pas même une scission.
François Bayrou, lui, espère être le grand bénéficiaire d’un affaiblissement du PS. Même s’il a échoué à se hisser au second tour, il a réussi à faire émerger une troisième force, au centre, et va se battre pour préserver son indépendance. La droite lui fera payer cher son refus de donner une consigne de vote, et il s’est préparé à voir fondre le nombre de ses députés. Mais sa crédibilité est à ce prix. C’est, en quelque sorte, un investissement : il brigue, en réalité, le titre de premier opposant à Nicolas Sarkozy, titre qu’il disputera au futur patron (ou patronne) de la gauche. Sa stratégie est extrêmement risquée, elle va lui aliéner une grande partie de son appareil. Mais Bayrou n’en a pas d’autre. Il peut tout perdre. Ou tout gagner.

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