Ces cadres qui reviennent

À rebours de la fuite des cerveaux, de plus en plus d’Africains à haut potentiel quittent l’eldorado occidental et parient sur l’Afrique. Avec l’ambition de réussir pleinement leur carrière.

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Sa nomination en février dernier à la tête de Microsoft Afrique a été saluée comme un formidable retour de compétences. Il a beau avoir guidé cinq missions d’exploration
spatiale pour le compte de la Nasa, l’agence spatiale américaine, et glané les honneurs
de la communauté scientifique mondiale, l’astrophysicien malien Cheikh Modibo Diarra a fini par revenir sur le continent qui l’a vu naître il y a 54 ans, des projets plein la
tête. L’appel du coeur, sûrement, mais aussi l’ambition de faire avancer la science et le développement sur la terre de ses origines. Le scientifique malien n’est pas le seul à
prendre ainsi le chemin du retour.
Chaque année, la route vers le Sud de milliers d’anonymes, souvent plus jeunes que le « Malien de la planète Mars », parfois tout aussi bien formés, croise le chemin vers le Nord empruntés par 20 000 étudiants et universitaires africains qui quittent leurs pays dans l’espoir d’un monde meilleur. Qu’est-ce qui fait courir ces supercadres ? Pourquoi
renoncent-ils à leur bureau confortable de La Défense, en région parisienne, ou de la City, à Londres, à leur bon salaire, leur bel appartement et leurs avantages sociaux
pour rentrer ? Pour Mounir Boujibar, Marocain de 33 ans, « c’est une question d’intérêt national ». Le continent semble donc développer une attractivité nouvelle, même si elle est encore loin de compenser la fuite des cerveaux.
En Occident, les cadres venus des pays en développement ne manquent pas d’opportunités : en Europe, aux États-Unis et au Canada même, bientôt, en Asie , on s’arrache leurs hautes qualifications. En janvier 2005, l’Allemagne, qui peinait à attirer les cerveaux étrangers a fait voter, sous la pression du patronat, une loi destinée à faciliter leur installation pour une durée indéterminée. Aux États-Unis, où l’on a maintenant digéré l’éclatement de la bulle Internet de 2001 et après les crispations sécuritaires post-11 Septembre, le Sénat et la Chambre des représentants discutent de la réouverture des frontières au moyen de l’augmentation des visas de travail « H1B » (prévus pour une période de trois ans renouvelable). Les besoins se font pressants : Microsoft, par exemple, assure disposer de 2 000 postes non pourvus, faute de candidats qualifiés. Quant au Canada, il veut attirer chaque année 250 000 immigrants pour répondre aux besoins de l’économie. Pour les médecins, informaticiens, chercheurs et cadres commerciaux de haut niveau, trouver un poste à sa mesure, dans l’une de ces régions, n’est donc souvent qu’une question de temps et de volonté. Ainsi de Tidjane Thiam, 44 ans, né en Côte d’Ivoire, diplômé de Polytechnique et X-Mines (France) et d’un MBA à
l’Insead, nommé récemment président d’Aviva Europe.
Si ceux qui quittent le continent dans l’espoir d’un meilleur cadre et de vie et d’un travail bien rémunéré en Occident sont conscients de faire un saut vers l’inconnu, il en va autrement pour ceux qui rentrent : affûtés par des formations de pointe, ils ont généralement un projet professionnel très précis. Et leur retour ne s’effectue pas toujours vers leur pays d’origine. « J’ai suivi les flux financiers », comme aime à dire le Camerounais Cyrille Nkontchou, 37 ans, MBA à Harvard, qui a finalement posé ses valises à Johannesburg en Afrique du Sud, première économie du continent. En 2000, il lance Liquid Africa, une véritable société de Bourse en ligne (www.liquidafrica.com). Il était à l’époque l’un des rares à avoir choisi l’entrepreneuriat. La création d’entreprise a maintenant le vent en poupe en dépit de la méfiance des banques à l’égard des particuliers et, dans certains pays, l’instabilité politique, la corruption de la justice et la pression fiscale. Il est vrai que les possibilités sont nombreuses. Le Franco-Algérien Choukri Djoudi, 39 ans, le dit sans hésiter : « En Algérie, les opportunités d’affaires sont meilleures qu’en France. » À la tête de Fujifilm Algérie et d’une entreprise de services informatiques, il est un binational comblé d’avoir cru dans le retour au pays.
La tendance majoritaire reste plutôt aux emplois salariés. Et dans une multinationale de préférence à une entreprise publique : l’expérience des « Éléphants blancs », ces investissements inutiles dont les faillites successives ont laissé des milliers de salariés sur le carreau est encore vivace dans bien des esprits. Véritable appel d’air, la volonté des multinationales à africaniser l’organigramme a considérablement renforcé les flux des retours. Ces entreprises privilégient, à compétences égales avec les cadres occidentaux, le recrutement de collaborateurs d’origine africaine. L’argument qu’elles
avancent est que ces derniers n’ont pas besoin de période d’adaptation et leur visibilité favorise l’intégration de l’entreprise dans la société. Mieux, ils coûtent
souvent 30 % à 40 % moins cher que les expatriés.
Le groupe américain AES n’a-t-il pas jugulé ses mauvais résultats de départ au Cameroun en partie grâce au rappel de ses cadres américains et britanniques ? Ils ont été remplacés par des Camerounais formés en Europe ou aux États-Unis. AES Sonel a maintenant redressé la barre, elle fait des profits et des émules en haut lieu. Les organisations internationales suivent la tendance. Rodrigo de Rato, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), s’est engagé à passer de 6 % à 8 % de cadres africains
dans ses effectifs. Dans le cadre de la mise en place de son réseau de représentation en Afrique, la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale,
recrute chaque année des dizaines de diplômés africains, dont la quasi-totalité est formée à l’étranger.
Ndioro Ndiaye, directeur général adjoint de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dit de ceux qui rentrent qu’ils « ne sont ni des bons samaritains ni des nationalistes purs et durs. Si leur pays ne se développe pas, s’il ne leur offre pas les ressorts nécessaires dans le domaine qui les intéresse, ils finissent par baisser les bras ». On le voit bien dans le cas de la Chine et de l’Inde : les retours des cadres expatriés s’accélèrent à mesure que les deux pays se développent (voir encadré).
Il reste à l’Afrique à se donner les moyens sinon d’aller à la poursuite de ses cerveaux et réclamer leur retour définitif, du moins de leur proposer un système de mobilité
générateur de transfert de compétences.

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