Bernd Schantz : « Peugeot reste une référence en Afrique »

À l’heure où le marché africain semble enfin décoller, le constructeur français entend récolter les fruits de son antériorité sur le continent. Explication de son directeur des affaires internationales.

Publié le 30 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

De nationalité allemande, mais parfaitement francophone, Bernd Schantz a fait quasiment toute sa carrière chez Peugeot, où il est entré voici exactement trois décennies à l’âge de 28 ans. Successivement directeur des filiales de la marque au lion en Suisse, Belgique, Allemagne et Espagne, Bernd Schantz occupe depuis un peu plus d’un an le poste
de directeur des affaires internationales de Peugeot. Autrement dit, de responsable
des ventes partout dans le monde, hors Europe.

Jeune Afrique : Que représente aujourd’hui l’Afrique dans les ventes de Peugeot ?
Bernd Schantz : Les pays hors Europe sont devenus le moteur de notre croissance : 680 000 véhicules en 2006, soit 34 % de nos ventes totales, au lieu de 16 % voilà cinq ans. Sur cette part, l’Afrique pèse de tout son poids : 85 000 voitures. Car le marché mondial
a changé. Aux États-Unis, en Europe et au Japon, les besoins sont pourvus. Le taux d’équipement des ménages ne progresse plus : 794 voitures pour 1 000 habitants aux États-
Unis, 597 en France, 584 au Japon. Pour l’ensemble des constructeurs, la croissance viendra donc désormais des pays en voie de développement, où la classe moyenne accède à l’automobile. La Chine est devenue en 2006 le troisième marché automobile mondial avec
4,2 millions de véhicules, 35 % de plus qu’en 2006. Le taux d’équipement y est pourtant bas : 18 voitures pour 1 000 habitants. Et encore plus bas en Inde : 10 voitures. Quant au marché russe, proche des 2 millions de véhicules par an, il a observé en 2006 une croissance de 65 %.
Face à ces géants en devenir, l’Afrique passe-t-elle au second rang de vos priorités ?
Ce serait aller à l’encontre de la tradition, et même des intérêts de Peugeot : en 2006, l’Afrique a représenté 12 % de nos ventes hors Europe. Le marché automobile africain est à l’image du continent. Il présente une forte distorsion géographique : Afrique du Sud, Afrique du Nord et, entre ces deux pôles, un vaste territoire où l’automobile reste un
bien rare, exception faite du Nigeria. Peugeot aborde chaque pays d’Afrique en fonction de son potentiel, mais sans en négliger aucun. Nos représentants en Afrique considèrent le pays où ils opèrent comme s’il était le centre du monde. Ce travail de longue haleine
pour établir des réseaux de distribution donnera sa pleine mesure quand le marché croîtra, ou lorsque nous lui proposerons des véhicules conformes à son attente.
Est-ce à dire qu’ils ne le sont pas, que Peugeot n’a pas remplacé la 504 pick-up, ou ne dispose pas dans sa gamme d’un véhicule à très bas prix ?
Une Peugeot low cost, le sujet n’est pas tabou. Nous n’avons pas de 4×4, c’est un fait. En revanche, nous disposons maintenant d’une 206 tricorps fabriquée en Iran, et d’une
307 tricorps produite en Argentine. Ces deux modèles correspondent à la demande du public dans le Maghreb. Choisir, c’est parfois renoncer à être présent sur certains segments. Mais l’internationalisation amène un constructeur à écouter les besoins de chaque pays. Peugeot a toujours eu le goût de l’exportation. Des trois marques françaises, nous sommes celle qui vend le plus hors d’Europe. Et le plus en Afrique, continent qui compte beaucoup dans notre histoire : les victoires des 404 dans l’East African Safari, la saga de la 504, l’usine de Kaduna au Nigeria, nos positions fortes au
Maghreb. Tous ces éléments font de Peugeot une référence en Afrique. Nous sommes donc bien placés pour accompagner la croissance du marché automobile africain.
Dans les années 1970, Peugeot assemblait des voitures en Afrique du Sud, premier marché
du continent. Allez-vous recommencer ?
Pour l’instant, nous n’avons pas de projet industriel en Afrique du Sud. Nous y avons atteint un bon niveau d’équilibre : 9 200 ventes en 2006. Même si le marché sud-africain croît de 20 % à 25 % depuis des années, et a dépassé les 800 000 véhicules en 2006, je ne suis pas certain de la rentabilité d’une usine d’assemblage. Nous achetons en Afrique du Sud le platine nécessaire à nos pots catalytiques, ce qui nous permet d’abaisser la
taxe d’importation, autrement fixée à 32 %. Et l’UE négocie avec l’Afrique du Sud une diminution de ce seuil. Le véritable frein à la croissance de Peugeot en Afrique du Sud est la taille de notre réseau de distribution.
Que devient le Nigeria, qui fut jadis la première destination des Peugeot hors de France ?
Déjà, la dernière des 560 000 Peugeot 504 produites à Kaduna vient d’embarquer sur un bateau à destination de la France, et du musée Peugeot En 1972, Peugeot a effectivement vendu plus de 70 000 voitures au Nigeria Contre 9 200 l’an passé. Nous sommes pourtant la première marque du pays, et la seule à y monter encore des voitures. C’est le marché qui s’est effondré : il est passé entre-temps de 180 000 à 30 000 véhicules neufs, notamment sous la concurrence de véhicules d’occasion, le plus souvent en mauvais état, qui arrivent d’Europe par bateaux entiers. Mais ce pays garde un fort potentiel : 140 millions d’habitants, du pétrole, la confiance en train de renaître. L’usine de Kaduna est désormais entre des mains privées, à la suite du retrait conjoint de l’État nigérian
et de Peugeot. L’affaire s’est passée en parfaite intelligence : le repreneur de l’usine est l’importateur Peugeot au Nigeria. Nous négocions avec le gouvernement pour y assembler la 307 tricorps. Sa production pourrait débuter fin 2008. En conséquence, nous avons différé d’un an l’arrêt du montage de la 406 à Kaduna, afin que l’usine ne connaisse pas de rupture de charge.
Comment se portent vos autres usines en Afrique ?
Nous avons cessé toute activité au Kenya en 2002. Nous assemblons encore quelques 406 au Zimbabwe, mais nous allons sans doute arrêter en Égypte, où nous avons vendu 1 200 véhicules en 2006, sur un marché de 150 000 unités. Car le gros de la demande porte dans ce pays sur des véhicules de taille inférieure à la 406. Au Maroc, enfin, nous avons assemblé 4 530 Partner sur les chaînes de la Somaca en 2006, sur un total de 9 800
Peugeot vendues.
Renault est maintenant monté à 80 % du capital de la Somaca. Allez-vous lui céder les 20 % restants ?
On ne peut exclure que Renault veuille un jour contrôler 100 % des parts et nous fasse une proposition. Mais la situation actuelle nous convient. Assembler le Partner à Casablanca nous permet d’en diminuer le prix de vente. C’est ce qui importe à nos clients marocains. Ils se soucient peu de savoir si Peugeot possède ou non des parts de la Somaca.
Le Partner a été lancé en 1997. Son successeur sera-t-il aussi monté à Casablanca ?
Il est trop tôt pour le dire.
L’abaissement progressif des barrières douanières condamne-t-il les usines en CKD*, où sont assemblées des pièces venues d’Europe ?
La rentabilité d’une usine en CKD est fonction de trois éléments : taxes douanières, taille du marché et qualité des équipementiers locaux. Le Maroc répond à ces trois critères, avec une demande qui ne cesse de progresser : 85 000 voitures en 2006, 32 % de plus qu’en 2005. Mais la Tunisie, dont le marché intérieur est plus étroit, a renoncé au CKD et ne s’en porte pas plus mal. Son réseau de sous-traitants est tel que plusieurs
constructeurs font fabriquer en Tunisie des pièces montées sur des véhicules vendus dans d’autres pays.
N’avez-vous pas le sentiment que vos positions s’érodent au Maghreb face à l’offensive des Asiatiques, qui, eux, offrent des petits véhicules à bas prix ou des pick-up 4×4 ?
La croissance à deux chiffres de ces marchés excite des convoitises : huit constructeurs présents en Algérie en 2000, trente-cinq aujourd’hui, dont des marques chinoises. Dans
ces conditions, difficile de conserver sa part de marché. Surtout quand nos concurrents asiatiques mènent une politique agressive sur les prix. Peugeot est inscrit dans la durée. Nous préférons travailler sur la qualité de notre réseau, l’après-vente, depuis 2003, nos ventes restent à un niveau élevé : près de 16 000 en 2006, sur un marché de 160 000 voitures, qui a augmenté de 20 %. La croissance a été encore plus forte au Maroc. Mais isolez la Logan, quasi absente en 2005 : vous verrez que Peugeot, avec 8 % de progression et 11 000 voitures vendues, est en ligne avec l’évolution du marché marocain. La Tunisie, enfin, est un marché contrôlé, dont la progression est régulée par l’État : 10 % en 2006. Nous avons conservé la deuxième place en Tunisie, avec des ventes stables. Mais nous retrouverons la croissance dans ce pays en 2007, avec la 206 tricorps.

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*Completely Knocked Down, méthode d’approvisionnement consistant à constituer des kits préparant l’assemblage d’un véhicule automobile.

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