Vrai-faux changement

Le nouveau gouvernement du président Lansana Conté ressemble étrangement au précédent. À de rares exceptions près, dont le Premier ministre.

Publié le 1 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Peut-on faire du neuf avec du vieux ? La question est sur toutes les lèvres, au lendemain du remaniement partiel du gouvernement intervenu à Conakry le 23 février. Les Guinéens ont l’impression d’avoir assisté à un simple replâtrage qui a laissé intact le noyau dur du régime. Rien ou presque n’a changé, à l’exception notoire de l’arrivée à la primature du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, François Lonsény Fall, un diplomate de carrière réputé honnête et compétent (voir « Profil »). Et de la nomination aux Travaux publics de Bana Sidibé, qui fut ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat en 1985, et dont la plupart des Guinéens n’ont jamais pu digérer le limogeage. L’homme est crédité d’avoir conçu le plan d’urbanisme de Conakry et construit les six routes transversales qui ont transformé la capitale d’un bourg compact en une ville où il est possible de circuler.
Aucun autre changement n’a été constaté. Tout au plus a-t-on vu des permutations et quelques promotions de seconds couteaux. Ainsi notamment de Moussa Solano, qui incarnait la paralysie du dialogue pouvoir-opposition depuis le référendum du 11 novembre 2001, et qui a été muté à l’Emploi et la Fonction publique. Pour le remplacer au ministère « à problèmes » de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, a été promu son « adjoint » Kiridi Bangoura, qui fut, tour à tour, directeur de cabinet et secrétaire général du département. Benjamin de l’équipe, Bangoura, 41 ans, est un sociologue formé en France, haut en couleurs mais réputé brillant.
Seul appel du pied à la société civile : la nomination d’Aïssatou Bella Diallo, l’égérie du petit écran, directrice de la Radiotélévision guinéenne portée à la tête du département de l’Information.
Conté a donc globalement pris les mêmes pour recommencer. Mais, cette fois, avec François Fall. Le nouveau Premier ministre, qui part avec des préjugés favorables, a été nommé alors qu’il était en mission à New York, porteur de la réponse de Lansana Conté à une lettre de Kofi Annan. Celui-ci sollicitait l’accord du chef de l’État guinéen pour pouvoir nommer Fall à « un poste de haut niveau au sein des Nations unies ».
À la surprise générale, Conté a posé un geste d’ouverture en portant à la primature un diplomate de carrière, qui n’est encarté dans aucune formation politique et qui demeure « connecté » à l’extérieur. Volonté de briser l’isolement international croissant de son pays ? Volte-face devant le désengagement progressif de l’Union européenne, de la France et des États-Unis des affaires du pays ? Certaines chancelleries occidentales se sont même prises à rêver que la cohabitation avec Fall amène le chef de l’État à plus de souplesse dans ses rapports avec les acteurs politiques internes et avec l’extérieur. Mais c’est sans compter avec la personnalité du numéro un guinéen, qui n’a pas attendu le retour de son nouveau Premier ministre pour nommer une douzaine de membres du gouvernement.
Arrivé à Conakry, le 25 février, Fall s’est immédiatement mis à la tâche. Les chantiers sont en effet aussi nombreux que pressants : réanimer un État peu actif depuis plus d’un an pour cause de maladie de son chef, renouer avec les partenaires au développement qui boudent le pays depuis deux ans, restaurer une économie malmenée par une grave dépréciation du franc guinéen et une forte inflation.
Aura-t-il les coudées franches pour agir ? Si Fall a « ses entrées » au FMI et à la Banque mondiale depuis qu’il représentait la Guinée auprès des Nations unies, à New York, il est peu sûr que les pesanteurs du régime et l’ombre de Conté lui laissent assez de marge pour mener les réformes adéquates.
Le nouveau chef du gouvernement risque aussi de ne pas être suivi dans une (nécessaire) politique d’austérité par une population appauvrie. D’autant que la base sociale du régime semble s’être rétrécie ces dernières années. Conté, qui avait promis à la veille de l’élection présidentielle du 21 décembre 2003, « de former son gouvernement avec les cadres de [son] parti », tarde à le faire. Et malgré les nombreuses pressions (y compris de la part de sa propre famille) pour qu’il s’ouvre à l’opposition, le chef de l’État résiste.
Mais pourrait-il, le cas échéant, convaincre ses adversaires ? Selon le modéré Siradiou Diallo, leader de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR, opposition parlementaire), « ce n’est pas dans la nature de Conté de dialoguer avec ses adversaires politiques. Et si, par miracle, il le faisait, il faudrait certains préalables avant toute entrée dans un gouvernement : la préparation de vraies élections par une structure indépendante [les communales de juin prochain sont un test à cet égard], la libéralisation des ondes, l’ouverture du pays à l’investissement étranger… »
Si ces revendications bloquent la vie politique guinéenne depuis plusieurs années, les plus farouches partisans de l’ouverture aux autres sensibilités se prennent à rêver. D’autant qu’une dizaine de postes ministériels importants (Finances, Mines, Agriculture, Santé…) restent à pourvoir. Un examen de rattrapage pour le chef de l’État ?

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