Vol et hôtel compris

Face à la cherté de certains services sanitaires au Nord, des États du Sud se spécialisent dans des soins de qualité peu onéreux destinés aux étrangers.

Publié le 1 mars 2004 Lecture : 6 minutes.

L’entrée des urgences a comptabilisé près de 240 personnes aujourd’hui. La plupart d’entre elles ont attendu plus de quatre heures avant d’être reçues par un médecin. À l’issue de la consultation, un homme de 62 ans, tout juste remis d’un malaise cardiaque, apprend qu’il lui faudra patienter entre six et huit mois avant de pouvoir passer sur la table d’opération. Plus d’un million de personnes sont dans cette situation. Ce scénario ne se déroule pas dans quelque village d’un pays en développement, mais… au Royaume-Uni. Plus exactement dans le nord de Londres.
Depuis plus d’une décennie, le National Health Service (NHS) – le service médical public britannique – est montré du doigt : locaux défectueux, personnel insuffisant, files d’attente de plus en plus longues. Résultat : une médecine à deux vitesses se développe – une pour les « riches », qui peuvent court-circuiter le système en se faisant soigner dans des cliniques privées ; et une autre pour les « pauvres », ceux qui sont obligés de recourir au service public. Les promesses des gouvernements successifs n’y ont rien changé : le NHS semble atteint d’une maladie incurable. Devant cette situation alarmante, souvent lourde de conséquences, des patients lésés ont cherché des alternatives. Et ils ont trouvé une échappatoire, plus connue sous le terme de « tourisme médical ». Pourquoi en effet ne pas aller se soigner à l’étranger ? La pratique est même devenue légale, donc prise en charge par l’assurance maladie sous certaines conditions, depuis qu’un Anglais a porté l’affaire devant la Cour européenne de justice en juillet 2001. Selon ce jugement, un citoyen européen a le droit de bénéficier des soins dispensés par des services médicaux d’un autre pays de l’Union européenne, si son pays n’est pas capable de lui assurer ce traitement dans un « délai raisonnable ». Le NHS a dès lors organisé des séjours hospitaliers en France, en Allemagne et en Belgique. « À partir du moment où les prestations sont identiques et que le personnel parle anglais, les patients sont satisfaits », indique Peter Huntley, du service « international » du NHS.
Une association basée à Manchester, Operations Abroad, organise pour sa part de véritables packages dans les cliniques privées de 21 pays dans le monde. La Tunisie figure en bonne position sur cette liste de destinations sanitaires. L’association a en effet souscrit en 2003 des contrats avec quatre cliniques tunisiennes réputées et espère que 3 000 Britanniques s’y rendront chaque année. Pour le ministère tunisien de la Santé, il n’y a rien d’étonnant à cet engouement. « Voilà plus de vingt ans que nous accueillons déjà, au sein de nos 80 cliniques privées, des Maghrébins, notamment des Libyens et des Algériens, qui ne disposent pas de structures aussi sophistiquées que les nôtres, note une responsable du ministère. Nos installations sont au moins aussi performantes que celles des pays européens, tandis que les prestations sont deux ou trois fois moins chères. Le gouvernement est conscient des opportunités présentées par ce nouveau créneau et entend bien encourager les acteurs locaux à s’y investir. » Ainsi les autorités tunisiennes offrent-elles des avantages fiscaux aux promoteurs désireux de construire des cliniques offshore, c’est-à-dire des établissements presque exclusivement réservés aux non-résidents.
Le Dr Mohamed Kamoun est l’un des futurs gérants d’un établissement de ce type. Pour l’heure, cet ancien interne des hôpitaux de Paris est le directeur de la clinique ophtalmologique d’El-Manar, à Tunis, laquelle a accueilli plus de cent patients européens – dont près de cinquante Français – en 2003. « Ces cliniques offshore présentent beaucoup d’atouts pour la clientèle européenne. Tout d’abord, le traitement y est beaucoup moins cher pour des prestations équivalentes, voire supérieures. En plus, le patient peut combiner un traitement avec des vacances. Ma clinique, Vision and Look, qui ouvrira ses portes en mai 2004, est située dans le quartier chic des Berges du Lac, à Tunis. Surtout, à moins de 50 mètres de là se trouve un hôtel 5 étoiles, avec lequel nous avons conclu un arrangement et où pourront se détendre les patients. Ainsi, pour une cure de photo-rajeunissement d’une semaine, un Français ne déboursera que 700 euros, billet d’avion et hébergement compris », s’enthousiasme le Dr Kamoun.
Comment attirer la clientèle étrangère, généralement issue des classes moyennes ? Le Dr Kamoun explique que, pour sa part, il tente de gagner dans un premier temps la confiance des médecins. Ce sont eux qui relaient ensuite l’information et vont opérer leurs propres patients à l’étranger. En définitive, la clinique du Dr Kamoun « vend » son équipement et son environnement, et non pas ses compétences à proprement parler. Pour l’instant, le futur directeur de Vision and Look mise sur les opérations non remboursées par la sécurité sociale du pays d’origine du client, comme la chirurgie esthétique.
D’autres pays de l’hémisphère Sud se lancent encore plus ouvertement dans le tourisme médical. Pour preuve, ils incitent les agences de voyages à proposer des « forfaits tout compris ». En Afrique du Sud, Lorraine Melvill, la fondatrice de Surgeon and Safari, offre depuis 1999 une opération esthétique couplée à un safari. Linda Harris, une Américaine de 50 ans, vient d’y passer trois semaines : « J’ai connu Surgeon and Safari à travers un documentaire télévisé. Je voulais que l’on efface une vilaine cicatrice que j’avais sur le cou. Finalement, j’ai également fait un lifting, une liposuccion et des implants mammaires. Le tout pour la moitié du prix que j’aurais payé aux États-Unis », se réjouit-elle.
La Thaïlande est un autre pays représentatif de ce genre de pratiques. Il est facile de trouver sur Internet des packages comprenant une opération chirurgicale à l’hôpital de Bumrungrad, à Bangkok – où « nombre de médecins sont issus d’universités américaines », promet le site -, une visite touristique de la capitale et une cure de repos sur l’une des magnifiques plages du pays. Le tout pour un prix de 70 % à 80 % inférieur au tarif pratiqué aux États-Unis. Soit 5 000 dollars pour une opération du genou – la moitié représente le coût de l’opération, le reste le billet d’avion et trois semaines de convalescence sur place. De quoi attirer les quelque 41 millions d’Américains privés d’assurance maladie – à cause de son coût prohibitif – et pour qui la seule opération serait revenue à 6 500 dollars.
La Thaïlande a ainsi soigné plus de 300 000 patients étrangers, majoritairement originaires des États-Unis et du Royaume-Uni, en 2002. Ce qui a généré un revenu total de 280 millions de dollars (225 millions d’euros) , selon l’association thaïlandaise des hôpitaux privés. Et l’activité ne cesse de croître. Afin de faire face à ce flux de « touristes malades », le pays a, comme la Tunisie, décidé de construire des cliniques exclusivement réservées aux étrangers. Ainsi, l’hôpital de Bangkok est en train de se doter d’une unité cardiaque de 104 lits. Coût du projet : 7,7 millions de dollars. La Thaïlande a investi le créneau du tourisme médical juste après la crise financière de 1997-1998. À cette époque, les cliniques du pays se désemplissent : la classe moyenne, qui est en train d’émerger, n’a pas les revenus suffisants pour accéder à ces soins haut de gamme. Les cliniques lancent alors une véritable campagne de publicité auprès des touristes et du personnel diplomatique. Le succès est tel qu’elles décident de promouvoir leurs compétences hors de leurs frontières, notamment auprès des expatriés thaïlandais installés dans des pays ne disposant pas de bonnes capacités sanitaires, tels que le Vietnam ou le Bangladesh.
L’Inde est également en passe de devenir une destination santé. Si les hôpitaux publics ne répondent pas aux critères de qualité des pays du Nord, les institutions privées offrent, quant à elles, des prestations satisfaisantes. En 2002, l’Inde a ainsi accueilli quelque 10 000 patients étrangers, britanniques pour la plupart. Un rapport du cabinet de consultants McKinsey and Co. révèle que ce marché pourrait rapporter 1 milliard de dollars au pays d’ici à 2012. Le tourisme médical offre donc aux pays en développement des perspectives alléchantes. Car il est urgent de pallier le sous-développement sanitaire dont souffrent de nombreux pays du Nord…

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