Qui l’est, qui ne l’est pas

Publié le 2 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Deux hommes se rencontrent pendant la guerre des Six Jours, en juin 1967. « Pourquoi es-tu si content ? » demande le premier. « J’ai appris que les Israéliens avaient abattu six Mig soviétiques aujourd’hui », répond le second. Le lendemain, celui-ci est encore plus rayonnant : « Les Israéliens ont abattu huit autres Mig ! » Le troisième jour, il est effondré. « Que s’est-il passé ? lui demande son ami. Les Israéliens n’ont pas abattu de Mig aujourd’hui ? » « Si, répond l’autre. Mais on m’a dit que les Israéliens étaient juifs ! » C’est tout l’antisémitisme en quelques mots.
L’antisémite hait les juifs parce qu’ils sont juifs, quoi qu’ils fassent. On peut haïr les juifs parce qu’ils sont riches et étalent leur richesse, ou bien parce qu’ils sont pauvres et vivent dans une misère noire. Parce qu’ils ont joué un rôle majeur dans la Révolution bolchevique ou parce que certains d’entre eux ont amassé une fortune colossale
après la chute du régime communiste. Parce qu’ils ont crucifié Jésus ou parce qu’ils ont contaminé la culture occidentale avec la « compassion de la moralité chrétienne ». Parce qu’ils n’ont pas de patrie ou parce qu’ils ont créé l’État d’Israël.
C’est dans la nature de toutes les formes de racisme et de chauvinisme : on hait quelqu’un parce qu’il est juif, arabe, de sexe féminin, noir, indien, musulman, hindou. Ses qualités personnelles, ce qu’il fait, sa réussite ne comptent pas. S’il appartient à la race ou à la religion abhorrée, il sera haï. Les réponses à toutes les questions sur l’antisémitisme découlent de ce fait premier.

Tous ceux qui critiquent Israël sont-ils des antisémites ?
Absolument pas. Celui qui critique Israël pour ce que nous faisons ne peut être accusé d’antisémitisme. Mais celui qui hait Israël parce que c’est un État juif, comme le personnage de la petite histoire ci-dessus, est antisémite. Il n’est pas toujours facile de faire la distinction, parce que les antisémites malins se présentent comme des critiques de bonne foi de ce que fait Israël.
Mais il est erroné et contre-productif de qualifier d’antisémites tous ceux qui critiquent Israël : cela nuit au combat contre l’antisémitisme. Beaucoup de personnes profondément morales critiquent notre comportement dans les Territoires occupés. Il est stupide de les accuser d’antisémitisme.

la suite après cette publicité

Peut-on être antisioniste sans être antisémite ?
Certainement oui. Le sionisme est une doctrine politique et doit être considéré comme tel. On peut être anticommuniste sans être antichinois, anticapitaliste sans être antiaméricain, antimondialiste, anti-n’importe quoi. Et pourtant, là encore, il est souvent difficile de marquer la différence, parce que de vrais antisémites prétendent
souvent être simplement « antisionistes ».

Peut-on être antisémite et sioniste ?
En vérité, oui. Le fondateur du sionisme moderne, Theodor Herzl, a tenté de gagner à sa cause des antisémites russes notoires, en leur promettant de les débarrasser des juifs.
De nos jours, l’extrême droite sioniste accueille bien volontiers le soutien massif de fondamentalistes évangéliques américains que la majorité des juifs américains, selon un sondage réalisé fin janvier, jugent antisémites. Leur théologie prophétise qu’à la veille
de la seconde venue du Christ, tous les juifs seront convertis au christianisme ou exterminés.

Un juif peut-il être antisémite ?
Cela paraît être un oxymoron l’alliance de deux mots incompatibles. Mais l’Histoire ne manque pas d’exemples de juifs qui détestaient farouchement les juifs. Karl Marx a écrit des choses très désagréables à l’égard de ses coreligionnaires, de même que Otto Weininger, un important écrivain juif de la Vienne de la fin du XIXe siècle. Herzl, son contemporain et compatriote, a laissé dans son journal intime quelques remarques très désobligeantes à l’égard des juifs.

L’Europe est-elle devenue antisémite ?
Pas vraiment. Le nombre des antisémites en Europe n’a pas augmenté, peut-être même a-t-il diminué. Ce qui a augmenté, c’est le volume des critiques du comportement d’Israël à
l’égard des Palestiniens, qui apparaissent comme « les victimes des victimes ».
La situation dans certains quartiers de Paris, qui est souvent citée comme un exemple de la montée de l’antisémitisme, est une tout autre affaire. Lorsque des musulmans nord-africains se heurtent à des juifs nord-africains, ils transposent le conflit israélo-palestinien sur le sol européen.

la suite après cette publicité

Alors pourquoi de nombreux États européens ont-ils, dans un récent sondage, déclaré
qu’Israël met plus en danger la paix mondiale que tout autre pays ?
L’explication est simple. Les Européens voient tous les jours à la télévision ce que font nos soldats dans les territoires palestiniens occupés. Cet affrontement est plus couvert
qu’aucun autre conflit (à l’exception peut-être, à l’heure actuelle, de l’Irak), parce qu’Israël est un sujet plus « intéressant », compte tenu de la longue histoire des juifs en Europe, et parce qu’Israël est plus proche des médias occidentaux que les pays musulmans ou africains. La résistance palestinienne, que les Israéliens appellent du terrorisme, ressemble très précisément, aux yeux de beaucoup d’Européens, à la résistance française à l’occupation allemande.

Que faut-il penser des manifestations antisémites dans le monde arabe ?
Il n’est pas douteux que des notes antisémites se sont introduites dans le discours arabe. Il suffit de constater que le détestable Protocole des sages de Sion a été publié en arabe. Quelles que soient les inepties avancées par certains « experts », il n’y a
jamais eu d’antisémitisme musulman organisé comme il y en a eu en Europe chrétienne. Au cours de sa lutte pour la conquête du pouvoir, le Prophète Mohammed s’est battu contre les tribus juives voisines, et il y a ainsi quelques passages négatifs sur les juifs dans le Coran. Mais ils ne peuvent se comparer aux passages antijuifs du Nouveau Testament qui
ont empoisonné le monde chrétien et entraîné d’infinies souffrances. L’Espagne musulmane était un paradis pour les juifs, et il n’y a jamais eu d’Holocauste juif dans le monde
musulman. Les pogroms eux-mêmes ont été extrêmement rares.
Les musulmans n’ont jamais imposé de force leur religion aux juifs et aux chrétiens, comme le montre le fait que presque tous les juifs expulsés de l’Espagne catholique se sont installés en pays musulman et y ont prospéré.

la suite après cette publicité

Faut-il fermer les yeux sur l’antisémitisme ?
Certainement pas. Le racisme est une sorte de virus présent dans tous les pays et chez tous les êtres humains. Jean-Paul Sartre disait que nous sommes tous racistes, la différence étant que certains d’entre nous en sont conscients et essaient de réagir, et que d’autres succombent au mal. En temps ordinaire, il existe une petite minorité de racistes éhontés dans tous les pays, mais en temps de crise, leur nombre peut augmenter rapidement. C’est un danger permanent, et tous les peuples doivent lutter contre les racistes qui se trouvent parmi eux.
Nous, Israéliens, sommes comme tous les autres peuples. Chacun de nous peut trouver en lui-même un petit raciste. Nous avons dans notre pays des gens qui haïssent fanatiquement
les Arabes, et la confrontation historique qui domine notre vie accroît leur pouvoir et leur influence. Il est de notre devoir de les combattre, et de laisser aux Européens et aux Arabes le soin de s’occuper de leurs racistes à eux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires