Le carcan iranien

Sang et or, de Jafar Panahi (sorti à Paris le 25 février)

Publié le 3 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

C’est peut-être un polar de très bonne qualité, voire même « un thriller qui n’est pas sans rappeler Taxi Driver » (The Guardian). Autrement dit, un film de suspense de la trempe du chef-d’uvre de Martin Scorsese. Belle performance pour le quatrième film d’un
jeune réalisateur iranien ! Mais Sang et or n’est pas seulement un film de genre.
L’histoire ? C’est celle d’un film noir. Un jeune homme massif, taiseux et paumé, livreur de pizzas de Téhéran, a un jour la mauvaise idée de pénétrer dans une bijouterie. Où il se fait éconduire, comme si sa présence était incongrue dans un tel lieu. Il revient, revolver à la main, pour laver l’affront avec un hold-up. Mais le bijoutier réussit à
déclencher l’alarme et à baisser le rideau de fer. Le gangster improvisé est pris au piège et il finira, juste avant l’arrivée de la police, par tuer le bijoutier avant de se suicider.
Avons-nous ici enfreint la règle qui impose au critique de ne jamais dévoiler la fin d’un polar pour préserver le suspense ? Pas du tout : l’épilogue tragique de Sang et or est dévoilé au spectateur dès le début. La construction du film de Jafar Panahi nous pousse,
lors d’un l’immense flash-back, à nous intéresser aux raisons qui conduisent à la scène finale. On découvre ainsi, à travers une série de péripéties drôles ou graves, mais toujours prenantes, que, comme ne le veut pas la morale dominante, l’assassin (interprété
par un formidable comédien amateur) est un personnage sympathique et que sa victime représente l’injustice. Au passage, on appréciera le talent de Panahi pour dresser le portrait acide d’une société iranienne façonnée par vingt-cinq ans de régime islamiste.
La qualité du scénario n’étonne guère puisqu’il est signé Abbas Kiarostami, maître du nouveau cinéma iranien. Le réalisateur a d’ailleurs été son assistant pour l’un de ses chefs-d’uvre, Au travers des oliviers. Mais ce récit inspiré d’un fait divers porte avant tout la marque de Jafar Panahi. L’inversion du début et de la fin donne une forme circulaire au film qui ne saurait surprendre de la part d’un réalisateur ayant acquis une renommée internationale avec un remarquable long-métrage, récompensé par un Lion d’or au festival de Venise, et intitulé Le Cercle. « La structure de mes films, explique-t-il, convient parfaitement à la société dans laquelle nous vivons. » Elle permet « à la fois de dénoncer l’enfermement de la société iranienne et l’énergie que déploient les
personnages pour, sinon en sortir, du moins élargir la circonférence de ce carcan ».
Un carcan dont le cinéaste ne peut pour sa part se défaire. Son précédent film, malgré une avalanche de prix et un succès public, n’a pas réussi à échapper à la censure de Téhéran. Sang et or, qui a obtenu une autorisation de tournage grâce à un subterfuge (la présentation aux autorités d’un vague synopsis en lieu et place du scénario réel), est d’ores et déjà interdit d’exploitation en Iran. Comme si le régime islamiste voulait à tout prix démontrer que les films de Jafar Panahi tutoient de trop près une vérité dérangeante.

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