La leçon d’économie du Pr Barro

Publié le 2 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

L’économiste américain Robert Barro(*) a conduit, en 1996, une étude qu’il a intitulée Les Déterminants de la croissance économique et qui couvre l’évolution d’une centaine de pays sur une période de trente ans. Selon cette étude et son auteur, les écarts de revenus entre les pays enrichis et ceux qui sont demeurés pauvres s’expliquent par des variables dont la plupart ne sont pas… économiques.
Plus simplement dit et dans un pays donné, la croissance du revenu par habitant est plus rapide si les neuf facteurs suivants de la croissance sont réunis et conjuguent leurs effets :
. le respect du droit ;
. un faible niveau de dépenses publiques ;
. une inflation maîtrisée (inférieure à 10 %) ;
. un minimum de libertés politiques ;
. une espérance de vie à la naissance élevée ;
. un fort niveau d’enseignement secondaire chez les individus masculins ;
. un faible taux de fécondité ;
. une amélioration des termes de l’échange (c’est-à-dire des prix d’importation bas) ;
. un fort taux d’investissement.

En ce qui concerne le niveau d’enseignement secondaire, Robert Barro précise : le nombre moyen d’années d’études dans le secondaire par individu masculin âgé de 25 ans (et plus) a une influence très positive sur la croissance. En revanche, le nombre d’années d’enseignement primaire n’a pas d’effet direct (il a un effet indirect puisque l’enseignement primaire est indispensable pour suivre un enseignement secondaire et supérieur).
Quant au niveau d’éducation de la population féminine, il n’a curieusement pas d’effet sur la croissance.
Pourquoi le niveau d’éducation de la population féminine n’a-t-il pas d’effet sur la croissance ? Le professeur Barro ne le dit pas. Mais l’on peut penser que, dans la plupart des pays étudiés, trop peu de femmes étaient engagées dans la production, ce qui pourrait expliquer que leur éducation n’influence pas la croissance.
Les conclusions de Robert Barro me paraissent constituer un excellent vade-mecum pour tous les responsables du développement des pays pauvres. Mais essayons d’aller plus loin.

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On a mesuré jusqu’ici le développement économique à l’aune du revenu annuel par habitant et l’on estime qu’un pays est déjà développé lorsque ses habitants disposent en moyenne d’un revenu égal ou supérieur à 12 000 dollars par an. Les six pays les plus développés et les plus riches du monde ont un revenu par habitant triple, à tout le moins supérieur à 30 000 dollars par an : Luxembourg (38 830) ; Suisse (37 930) ; Norvège (37 850) ; États-Unis (35 060) ; Japon (33 550) ; Danemark (30 290).
Ils sont suivis par quelques autres pays, tous européens (Islande, Royaume-Uni, Suède, Pays-Bas, France), dont le revenu est voisin de 24 000 dollars par an et par habitant. Le revenu moyen par an et par habitant des quinze pays de l’Union européenne est de 20 000 dollars.

Depuis quelques années, les économistes ont affiné ce critère et introduit le revenu corrigé par ce qu’ils appellent la parité de pouvoir d’achat pour tenir compte du fait que, d’un pays à l’autre, 1 dollar permet d’acquérir plus ou moins de biens et de services.
Ce revenu corrigé a permis de s’apercevoir que les pays pauvres sont en réalité moins pauvres qu’on ne le pensait : les prix des biens et services courants y sont en effet, sauf exceptions, inférieurs à ceux pratiqués dans les pays riches, aux États-Unis en particulier.
Pour vous permettre d’apprécier la différence entre le revenu par habitant traditionnel et le revenu corrigé par la parité du pouvoir d’achat, j’indique dans le tableau ci-contre les deux chiffres pour quelques pays européens et africains.

Cela posé, je voudrais affiner encore : le développement d’un pays n’est que très imparfaitement décrit par le revenu annuel moyen par habitant, même corrigé par la parité de pouvoir d’achat. Il l’est beaucoup mieux, à mon avis, par ce que j’appellerai la propagation de la modernité au sein de la population.
Tous les pays du monde, y compris les plus pauvres, comptent un pourcentage de nationaux (et d’habitants) qui sont éduqués, logés, soignés, se nourrissent et voyagent comme les ressortissants des pays développés, des gens du XXIe siècle. C’est la classe privilégiée de la population, ceux qui disposent de voiture(s), téléphones, ordinateurs, etc.
Mais il y a une différence de taille : dans les pays développés, ce pourcentage est de 50 % de la population, parfois plus, ou même beaucoup plus.
En revanche, dans les pays en développement, il est toujours en dessous de 50 % de la population (et bien souvent en dessous de 20 %, voire de 10 %). Exemples : la Chine d’aujourd’hui compte quelque trois cents millions d’habitants éduqués et qui vivent dans la modernité, contre un milliard de leurs compatriotes restés à l’écart du progrès ; en Inde, à ce jour, la modernité ne touche qu’une centaine de millions de personnes sur le milliard d’hommes, de femmes et d’enfants que compte le pays.
Cette disparité est le fossé qui sépare deux mondes : le premier est installé dans le développement ; le second est encore « en développement », c’est-à-dire sous-développé.

Un pays n’est pas développé tant qu’y coexistent une (petite) minorité de très riches et une (grande) majorité de très pauvres.
Pour se développer, toute nation doit éradiquer l’extrême pauvreté, généraliser l’enseignement primaire et secondaire, élargir la base de l’enseignement supérieur, faire bénéficier de cet enseignement les femmes autant que les hommes.
Il lui faut réduire la mortalité infantile, augmenter l’espérance de vie et faire en sorte que profite de ces améliorations la majorité de sa population.
En un mot comme en mille, créer une classe moyenne et qu’elle s’élargisse de proche en proche jusqu’à englober plus de la moitié de la population.

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* Le professeur Robert J. Barro, 60 ans, enseigne l’économie
à l’université Harvard et collabore à plusieurs revues américaines.

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