Kofi Annan enfin écouté…

Publié le 2 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique était censée être au centre de la conférence de presse mensuelle de Tony Blair, le 26 février. C’était sans compter sur les révélations tonitruantes de Clare Short, l’ancienne ministre du Développement international, surnommée en Grande-Bretagne « Calamity Clare » depuis sa démission sur fond de guerre irakienne. Interviewée quelques heures auparavant par la BBC, Clare Short a affirmé que Kofi Annan avait été mis sur
écoute par les espions britanniques durant les mois précédant l’intervention militaire en Irak. « Je suis formelle puisque j’ai vu les transcriptions des conversations [du secrétaire général des Nations unies] », a-t-elle déclaré sur les ondes du programme matinal vedette de Radio 4.

Cette affaire d’espionnage a éclaté suite aux indiscrétions de Katharine Gun, une interprète travaillant pour le compte des services secrets britanniques, et en particulier
pour la cellule d’écoute, le GCHQ (Government Communications Headquarters). La jeune femme avait déclaré que les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient mis sur écoute six
pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU : Angola, Cameroun, Guinée, Pakistan, Mexique et Chili. Objectif : obtenir des informations sur les intentions de vote de ces indécis à propos de l’Irak afin de peser sur leur décision finale. Immédiatement après ses
déclarations, Katharine Gun a été inculpée, selon la procédure prévue par l’Official Secrets Act (loi sur les secrets d’État) visant notamment à décourager d’éventuelles fuites émanant d’anciens employés des services de renseignements.
Tandis que Katharine Gun était libérée, le 25 février, « faute de preuves », selon les termes du procureur Mark Ellison, Clare Short enfonçait un peu plus le couteau dans la plaie irakienne de Tony Blair. À Downing Street, ce dernier a esquivé les questions des journalistes en leur opposant son « devoir de réserve ». Qui ne dit mot consent ? En tout
cas, plutôt que de démentir les allégations de son ancienne collaboratrice, le Premier
ministre de Sa Majesté l’a traitée d’« irresponsable ».
Ce n’est pas la première fois que la Grande-Bretagne « surveille » ses alliés. Il est aujourd’hui avéré que l’ambassade du Pakistan à Londres, par exemple, a été infiltrée en 2001 par un agent du MI5 (sécurité intérieure). Les États-Unis sont aussi familiers de ce genre de méthode. À peine créée, l’ONU était déjà la cible du FBI en 1945, lors de la
Conférence de San Francisco, a-t-on pu lire dans les archives gouvernementales dévoilées dans les années 1990. Quant à l’Union européenne (UE), elle n’est pas non plus immunisée contre l’espionnage. Ses bureaux à Bruxelles ont été mis sous écoute en février 2003. Cinq boîtiers avaient alors été retrouvés au septième étage du bâtiment abritant le siège du Conseil des ministres de l’UE. Les boîtiers étaient fixés sous le faux plancher, là où passent les câbles téléphoniques.
Des méthodes de plus en plus sophistiquées voient le jour. Grâce aux progrès technologiques, il est désormais possible d’écouter une conversation entre deux individus
situés à moins de 5 kilomètres du récepteur. L’outil d’interception le plus puissant reste le satellite. « Echelon », le puissant réseau d’espionnage électronique créé en 1947 et réservé à cinq pays anglo-saxons (Grande-Bretagne, États-Unis, Australie, Canada,
Nouvelle-Zélande) est à ce titre exemplaire. Aux États-Unis, Martin Luther King, Malcolm X ou encore Jane Fonda en ont fait les frais. Aujourd’hui, on estime que quelque 38 000 personnes travaillent encore pour le compte d’Echelon.

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Non seulement la surveillance électronique et téléphonique est pratique courante, mais elle est en outre encadrée par une législation. Ainsi, la Grande-Bretagne a voté en 1994 l’Intelligence Services Act (la loi sur les services de renseignements), aux termes duquel le GCHQ peut utiliser les écoutes « dans l’intérêt de la sécurité nationale, avec
mention particulière pour les politiques extérieures et de défense du gouvernement de Sa Majesté du Royaume-Uni ». Le cas de Kofi Annan n’entre toutefois pas dans ce cadre puisque
le traité de Vienne de 1946, ratifié par la Grande-Bretagne, stipule que l’ONU est
« inviolable » et « à l’abri de perquisition [] et de n’importe quel autre moyen
d’interférence ». L’affaire n’est donc pas près d’être classée.

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