Fragile embellie des produits de rente

La vanille, le clou de girofle et l’ylang-ylang assurent 90 % des exportations des Comores. Depuis trois ans, les cours sont orientés à la hausse.

Publié le 1 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Yahia Ibrahim, chimiste au Laboratoire des essences, est comme un poisson dans l’eau au milieu des fioles, pipettes et autres appareillages sophistiqués de mesure de la densité. Installée dans les locaux du Centre national de documentation et de recherche scientifique des Comores (CNDRS), voisin de l’Observatoire du volcan Karthala, son laboratoire contrôle et certifie les stocks d’essence d’ylang-ylang et de vanille destinés à l’exportation. Les cultures de rente, introduites au XIXe siècle par les planteurs français l’ylang-ylang, la vanille et la girofle – représentent 90 % des exportations du pays. « L’origine comorienne est un label prisé des connaisseurs, explique Yahia Ibrahim. Il n’y a qu’ici qu’on arrive à extraire une huile essentielle d’ylang-ylang de qualité extra S, très recherchée, car elle entre dans la composition de nombreux parfums, dont ceux de la célèbre maison Guerlain. »
Ces dernières années, on a constaté une multiplication des contrefaçons. Des escrocs avaient commencé à importer des huiles malgaches de moindre qualité et les mélangeaient avec des huiles locales avant de les revendre assorties d’un certificat d’origine des
Comores. « Pour lutter contre ces pratiques qui risquaient de ruiner notre réputation sur le marché international, nous avons mis en place, avec l’aide de l’Union européenne, qui le finance, ce laboratoire chargé de vérifier la densité des produits », indique le chimiste.
Le laboratoire fonctionne depuis 1997. Il effectue des contrôles sur sites et sur stocks, à la demande des douanes, des importateurs, et, de plus en plus, des distillateurs, désireux de faire certifier leur production. « Nous appliquons les normes Afnor et ISO(*)
poursuit Yahia Ibrahim. Nos analyses reviennent beaucoup moins cher au client que si elles étaient effectuées en Europe ou en Amérique. »
L’activité du laboratoire ne se limite pas à l’ylang-ylang, la vanille est aussi concernée, même si les fraudes sont de moindre ampleur. En fait, la densité en vanilline fait la valeur et le prix. Elle est naturellement plus élevée aux Comores qu’à Madagascar,
d’où la tentation, là encore, de faire venir des stocks de la Grande Île, de les mélanger avec de la vanille locale, et de réexporter ensuite sous le label Comores
Les paysans comoriens n’étant pas spécialisés, ils produisent un peu de tout sur leurs parcelles, et s’adaptent rapidement à la conjoncture. La vanille fait actuellement figure « d’or vert » plus encore que l’ylang-ylang, culture traditionnelle en perte de
vitesse dont l’archipel assure cependant 70 % de la production mondiale. Les cours du produit se sont envolés entre 1998 et 2002, passant de 8 000 FC à près de 45 900 FC, et
la production, de l’ordre de 540 tonnes de vanille verte en 2002-2003, soit environ 112 tonnes de vanille sèche, représente maintenant 80 % des recettes d’exportation du pays. « Ce sont les difficultés de nos concurrents qui ont été à l’origine de la flambée des prix, raconte le journaliste comorien Saïd Ali. Les cyclones et les incendies de forêt ont
ravagé les plantations indonésiennes, les troubles politiques ont perturbé les récoltes et leur écoulement à Madagascar. Résultat : une raréfaction de la denrée et une hausse vertigineuse des cours, qui a vraiment profité à l’ensemble de la population. » À Ngazidja (Grande Comore), depuis quelques années, les producteurs ont délaissé l’ylang-ylang au bénéfice de la vanille et du clou de girofle, l’autre denrée affectée par les
cyclones d’Indonésie.
Le regain de prospérité provoqué par la hausse des cours pourra-t-il durer très longtemps ? Difficile à prévoir. Le marché des matières premières, instable, est sujet à des retournements brutaux. La mode du « bio » en Europe et en Amérique, et le retour en grâce des extraits naturels au détriment des produits de synthèse peuvent toutefois inciter à un optimisme relatif. Aux États-Unis, le Coca-Cola « vanille » tend à supplanter
le Coca-Cola traditionnel, et les volumes d’achat réalisés par la firme d’Atlanta ne sont d’ailleurs pas complètement étrangers à l’inflation des cours du produit.
« Le problème, c’est que nous n’avons pas les moyens de communiquer pour entretenir ces tendances et amener de nouveaux consommateurs à s’intéresser à nos produits, tempère Younoussa Imani, commissaire général au plan. L’essentiel du travail de promotion est effectué par les importateurs. Nous restons en position d’extrême dépendance. Il est
urgent de diversifier les sources de revenus à l’exportation. Grâce à la vanille, nous sommes sortis de la quasi-monoculture de l’ylang-ylang. Maintenant, il faudrait développer
d’autres épices, et transformer davantage sur place, en effectuant plus de conditionnement, de manière à augmenter la valeur ajoutée de nos exportations »

* Association française de normalisation et Organisation internationale de normalisation.

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