Désolation et colère

Les sinistrés du violent tremblement de terre qui a frappé la province d’Al-Hoceima s’insurgent contre l’inefficacité des secours.

Publié le 2 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

L’onde de choc s’est propagée en un éclair. Dans la nuit du 23 au 24 février, à 2 h 28, un violent séisme, dont l’épicentre était la bourgade d’Aït-Kamara, qui a été pratiquement
rayée de la carte, a frappé la province d’Al-Hoceima, sur la côte nord du royaume. De magnitude 6,3 sur l’échelle de Richter, ce tremblement de terre plus violent que celui qui avait détruit aux trois-quarts la ville d’Agadir en 1960 et provoqué la mort de
15 000 personnes (voir p. 40) a fait, au 27 février, 571 morts et plus de 400 blessés. Plusieurs autres localités en zone montagneuse, situées à une dizaine de kilomètres au
sud et au sud-ouest d’Al-Hoceima, ont été violemment touchées, surtout Imzouren, une ville de 30 000 habitants où l’on a recensé le plus grand nombre de victimes. La violence du séisme a été telle que l’onde de choc a été ressentie jusqu’à Taza et Fès.
Au matin du 24, les Marocains ont ainsi découvert sur leurs écrans de télévision un paysage de désolation, jalonné de corps ensevelis et d’immeubles effondrés. L’horreur en direct dans une région qui compte plus de 350 000 habitants et qui avait déjà été frappée en novembre dernier par de violentes inondations. Une autre catastrophe dont les populations locales ne s’étaient pas encore totalement remises et qui avait déjà mis à mal les infrastructures et les pistes.
Deux jours après la catastrophe, Abdelhatim Khattabi, ancien député OADP (Organisation de
l’action démocratique populaire) habitant à une vingtaine de kilomètres des sites les plus touchés, témoigne : « Les habitants ont été frappés en plein sommeil par un choc d’une violence inouïe et ils ont mis quelques minutes pour réaliser l’ampleur du drame.
Ce qui explique le nombre élevé de morts. Très vite, les populations locales ont commencé à prendre en charge les premiers blessés graves et à tenter de secourir ceux qui étaient bloqués sous les gravats. Je suis moi-même arrivé sur les lieux vers 5 heures. Les premiers secouristes ne sont, eux, arrivés qu’à 9 heures et ils n’avaient que peu de
moyens matériels. Ce n’est que vers midi que les gros moyens techniques ont été déployés et qu’on a vu l’armée arriver sur les lieux. Aujourd’hui encore (l’entretien téléphonique a eu lieu le 25 février à 11 heures), il reste des endroits très touchés dans la montagne, mais nous ne pouvons y accéder car les pistes ont été détruites. » Huit heures après la catastrophe, seuls deux petits engins se relayaient pour déblayer le terrain, alors même que pendant quarante-huit heures on a enregistré plus de 300 répliques, dont une de magnitude 5,1, intervenue mercredi à l’aube.
Ilias el-Omari, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui habite à 4 km de Imzouren, ne décolère pas : « Toutes les habitations qui se sont effondrées le premier jour présentaient des malfaçons et celles qui ont résisté ont été balayées par les répliques successives. Chacun sait que nous sommes ici dans une zone à risques, mais on a laissé faire. Qui est responsable ? » Outre la fragilité de l’habitat traditionnel,
généralement des petites masures en terre ou en pisé, ce sont des centaines de logements (en dur) qui ont été détruits en un clin d’il, à cause du non-respect des normes de
construction et des facilités avec lesquelles les permis de construire sont délivrés cela est valable pour tout le royaume Une donne qui explique partiellement le bilan très lourd de la catastrophe.
L’émotion est tellement vive qu’il est difficile d’en savoir plus, même si l’indigence des secours déployés dans les premières heures ne souffre aucune contestation. Omari, lui, en veut particulièrement aux voisins espagnols : « Songez que la ville de Melilla, occupée par l’Espagne, n’est qu’à 50 kilomètres d’ici et que là-bas ils disposent de tous
les matériels de secours adéquats. Pourquoi ont-ils attendu pratiquement vingt-quatre heures avant de commencer à acheminer leur aide, leurs hommes et leurs chiens ? Légitime colère d’habitants qui se sentent délaissés alors que l’on compte dans la région plus
de 50 000 sans-abri.
« Nous attendons déjà quelque 13 000 tentes [de six places chacune] qui sont en cours d’acheminement, lance le docteur M’Hammed Lachkar, responsable de l’ONG Asasha et chirurgien à l’hôpital Mohammed-V d’Al-Hoceima, sa ville natale. Mais le problème numéro
un aujourd’hui, c’est que personne ne coordonne les opérations de secours et que les principaux responsables locaux sont livrés à eux-mêmes. Nos partenaires européens ont des
aides à nous proposer, mais ils ne savent pas à qui s’adresser. Du coup, c’est nous, société civile, qui sommes montés au créneau pour porter assistance aux rescapés. Car contrairement à ce qui s’est passé à Bam, en Iran, ici on a sauvé très peu de vies humaines. C’est franchement lamentable. »
Légitime colère encore une fois de populations rifaines, qui, outre un environnement
physique très difficile, se sont longtemps senties marginalisées, politiquement et économiquement, par le pouvoir central de Rabat. Et qui n’ont commencé à retrouver droit de cité que depuis l’avènement du roi Mohammed VI, en juillet 1999.
Il n’empêche. Le retard en termes d’équipements et d’infrastructures sociomédicales est clairement apparu pendant ces interminables interminables journées des 24 et 25 février. Ainsi de l’hôpital Mohammed-V, dont le directeur général s’est retrouvé, de fait, coordinateur des secours avant que, deux jours plus tard, une cellule ne soit officiellement mise en place pour réaliser une tâche à laquelle elle n’a jamais été préparée. De plus, l’hôpital n’est qu’une structure de niveau moyen où officient des
surs catholiques et des médecins chinois, aux côtés de leurs homologues marocains, mais qui s’est vite retrouvée dépassée par l’afflux des blessés. Des dizaines de personnes ont du coup été évacuées vers une caserne ou des locaux d’associations caritatives de la
région. Les blessés les plus graves ont été évacués vers les CHU de Rabat ou de Casablanca à plus de 300 km des lieux du drame !
Jeudi, à la mi-journée, les dispositifs d’aide internationale étaient en place. Les Marocains ont vu enfin arriver des aides en provenance d’Espagne, de Belgique, de France, de Grèce, d’Italie, de leur voisin algérien et des bases militaires américaines en Italie. Signe de l’ampleur du drame : Paris a dépêché sur place des dispositifs d’urgence et les moyens adéquats pour construire des hôpitaux de campagne capables de soigner
30 000 personnes et plus. Engageant ainsi une course contre la montre pour le sauvetage des rescapés, qui, après avoir passé trois nuits à la belle étoile dans le froid et sous la pluie ont déjà commencé à se plaindre ouvertement du manque de moyens déployés
par le gouvernement central !

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