Dans l’antre du volcan

Actif, le Karthala, qui culmine à 2 361 mètres d’altitude, est sous haute surveillance.

Publié le 1 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Août 2003 : les sismographes de l’Observatoire du Karthala s’affolent et enregistrent 359 séismes en une seule journée. « Nous pensions que le Karthala allait entrer en éruption. C’est le cas sur l’île de la Réunion lorsque le Piton de la Fournaise enregistre 40 à 50 secousses par jour », raconte Hamidi Soulé, le directeur de l’Observatoire. Précaution oblige, l’alerte a été donnée, mais l’éruption tellement redoutée n’a pas eu lieu. Du moins pas encore. « Nous connaissons très mal le Karthala, poursuit Hamidi Soulé. Grâce à des recoupements, nous avons pu établir la liste des éruptions majeures survenues depuis 1808, qui sont au nombre de 24. Mais la création de l’Observatoire remonte au début des années 1980. Elle a été décidée après la coulée de lave qui a balayé le village de Singani, en 1977, heureusement sans faire de victimes. La seule éruption, sommitale, que nous avons pu suivre scientifiquement est celle de 1991. Nous manquons donc de recul pour interpréter correctement les données et pour en déduire le comportement futur du volcan. »
En dépit de ses 2 361 mètres, le Karthala est un volcan immergé aux deux tiers. Ses dimensions sont impressionnantes, avec sa cheminée de 6 000 mètres et un massif d’environ 120 kilomètres de diamètre. Sa caldera – l’ensemble formé par le système de cratères – est la plus vaste du monde. Les flancs de la montagne sont couverts de végétation. Le sommet, lui, est souvent noyé dans les nuages. De Moroni, il n’est visible que par beau temps, pendant la saison sèche. En revanche, les randonnées sont possibles toute l’année. À condition d’avoir le coeur bien accroché. L’ascension, qui dure environ six heures et demie, est éprouvante. La balade permet de découvrir la forêt primaire, cet enchevêtrement d’arbres de grande taille et de fougères géantes, qui constitue un refuge pour des colonies entières d’oiseaux. On y trouve des perroquets de toutes les couleurs en liberté. À mesure qu’on s’approche du sommet, la végétation perd en densité. La caldera, noyée dans la brume, est une morne plaine battue par les vents. Elle offre un spectacle de désolation : des bosquets d’arbustes, complètement calcinés, les branches tendues vers le ciel, comme pétrifiées par les nuées ardentes. On croit deviner les stigmates de l’éruption de 1991, qui avait été précédée par l’émission de ces gaz mortels et brûlants. « Pas du tout, corrige notre guide, l’excellent Chauffeur [c’est son surnom, cela ne s’invente pas]. Ce sont simplement les traces de l’incendie de forêt d’il y a quelques années. Bientôt, il n’y paraîtra plus rien. Le sol est très fertile par ici. » Nous voilà rassurés. La visite peut continuer. Les nuages ne veulent pas se dissiper. La visibilité ne dépasse pas les 20 mètres. Impossible d’apercevoir à l’oeil nu le lac chaud et acide qui s’est formé dans un ancien cratère, et dont le niveau monte et baisse en permanence. Après les fissures de la roche et les infiltrations de pluie, une grande quantité d’eau s’est retrouvée piégée à l’intérieur de la montagne, à une altitude comprise entre 1 000 et 2 000 mètres au-dessus de la mer.
La présence de ce lac inquiète les volcanologues. Les éruptions classiques du Karthala, de type hawaiien, appelées aussi éruptions magmatiques, présentent peu de dangers : la lave en fusion remonte par la cheminée ou par une fissure, avant de se déverser dans le cratère ou sur les flancs de la montagne. Mais si le magma entre en contact avec une poche d’eau souterraine, les choses se compliquent. Deux types d’interactions sont possibles. L’interaction indirecte, appelée éruption hydro-explosive (phréatique), et l’interaction directe, appellée magmato-phréatique.
Dans le cas d’une éruption phréatique, la remontée du magma provoque l’ébullition de la poche d’eau emprisonnée sous la roche. La pression souterraine augmente, et le couvercle finit par exploser. Des débris de roche peuvent être projetés à plusieurs centaines de mètres, et les émissions de gaz ardents et empoisonnés faire disparaître toute forme de vie à des kilomètres à la ronde. C’est ce qui s’est passé en 1991. L’explosion s’étant produite au sommet, dans le cratère, elle est passée quasiment inaperçue en ville. « Nous avons entendu une espèce de « boum » pendant la nuit du 11 juillet, se souvient Yahia Ibrahim, le chimiste du Laboratoire des essences, voisin de l’Observatoire. Personne n’y a trop fait attention. Ensuite, Moroni a été envahi d’une puanteur inhabituelle. Tout le monde a cru que les canalisations des sanitaires avaient explosé. Ce n’est qu’au petit matin, à la radio, que les gens ont compris que le Karthala venait de faire des siennes. »
Infiniment plus rares, mais ô combien plus dévastatrices, les éruptions magmato-phréatiques alimentent les cauchemars des volcanologues. Elles se produisent quand le magma entre directement en contact avec le réservoir d’eau souterrain. L’explosion est alors brutale et importante, ses conséquences peuvent être catastrophiques. Une éruption de ce type dégage une énergie équivalente à des milliers de fois la bombe d’Hiroshima. Elle a été observée en 1980, aux États-Unis, au mont Saint-Helens.
L’explosion de ce volcan, situé dans une région neigeuse et désertique, avait fait alors « un peu moins » d’une centaine de morts. D’après les géologues, la Grande Comore, du temps où elle était encore inhabitée, a pu déjà connaître ce type d’explosion…
Ngazidja est située sur un « point chaud du globe », une zone d’intense activité magmatique. « Il faut imaginer une sorte de chalumeau allumé en permanence, explique Hamidi Soulé, qui fait remonter le feu de l’asthénosphère, le manteau de la Terre. La plaque terrestre se déplace, avec une vitesse variant selon les époques géologiques. Elle n’est pas d’une égale épaisseur à tous les endroits. En simplifiant à l’extrême, on peut dire que lorsque le chalumeau chauffe pendant longtemps à un endroit moins épais que les autres, cela donne un volcan, donc une île. Le point chaud a donc successivement donné naissance à Mayotte, à Anjouan, à Mohéli, et il est maintenant à la verticale du Karthala, le seul volcan encore actif de l’archipel. Dans des millions d’années, la plaque se sera encore déplacée, et les Comores se seront sans doute enrichies d’une cinquième, voire d’une sixième île. »

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