L’heure des comptes

Quel est, pour la Tunisie, le bilan financier de la Coupe d’Afrique des nations, qui s’est achevée le 14 février ? Plutôt positif au vu des recettes directes et des retombées économiques. Mais surtout parce que le pays organisateur a remporté le titre…

Publié le 3 mars 2004 Lecture : 7 minutes.

Réussite sportive et festive, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2004 a-t-elle été un succès financier pour la Tunisie ? Tout dépend de quoi on parle. Des recettes des organisateurs et de la fédération de football ? Des retombées économiques pour le pays ? Du budget de l’État ?
D’abord, les recettes directes. Un demi-million de spectateurs ont payé leurs billets pour suivre les compétitions. À lui seul, le stade du 7-Novembre, à Radès, où se sont
notamment déroulées la cérémonie d’ouverture et la finale, a enregistré quelque 300 000 entrées payantes. Les cinq autres stades d’el-Menzah, à Tunis, de Sousse, de Sfax, de Monastir et de Bizerte en ont accueilli 200 000.
Les recettes de la billetterie s’élèvent à 3 millions de dinars (environ 2 millions
d’euros). Une partie seulement de cette somme revient à la fédération hôte (voir
encadré p. 36). Le Comité d’organisation (Cocan) a enregistré des recettes supplémentaires
provenant du partenariat local pour un montant de 1,3 million de dinars, ce qui fait que
billetterie et sponsoring local ont, au total, généré 4,3 millions de dinars de revenus bruts.
Comme c’est désormais le cas pour toutes les grandes compétitions mondiales de football, l’essentiel des recettes provient des droits de retransmission télé et de la publicité. La Confédération africaine de football (CAF), détentrice de ces droits, les a cédés à Sport Five pour la période allant de 2002 à 2008, tandis que Nokia a remporté le contrat de sponsor-titre de la Coupe. Ici aussi, la répartition des revenus obéit à un calcul très complexe. Les experts estiment que la CAF devrait reverser plus de 2 millions de dollars au pays hôte et aux autres participants.
De son côté, la fédération du pays vainqueur a droit à 12 % de ces recettes liées à la télé et à la publicité. Le Cameroun, champion de la CAN 2002, avait reçu de la CAF 320 000 dollars. Une somme dérisoire pour un titre aussi prestigieux. Ce pays n’a pas manqué d’en faire la remarque lors de l’assemblée générale de la Confédération qui s’est déroulée à Tunis en marge de la CAN 2004. Ce à quoi Issa Hayatou, le président de la CAF, a répondu que, cette année, le montant sera supérieur. « Même ainsi, la somme reste ridicule », a commenté un responsable sportif africain. Surtout comparée aux 950 000 dollars que touche le club vainqueur de la Coupe de la Ligue des champions en Afrique. Comparée aussi aux 3,5 millions de dollars engrangés par l’équipe de Tunisie pour ses trois matchs de la Coupe du monde Japon-Corée du Sud en 2002.
Qu’en est-il des dépenses publiques ? Pour recevoir la CAN, la Tunisie a investi quelque 15 millions de dinars dans la mise à niveau des six stades, soit par l’augmentation de la capacité d’accueil de certains d’entre eux, soit par des travaux de réfection, soit encore par la reconstitution du gazon. Le stade de Radès a quant à lui bénéficié de quelques équipements supplémentaires.
D’autres dépenses ne sont pas chiffrables. Des routes d’accès aux stades et des aires de parking ont été aménagées. Les collectivités locales ont aussi investi dans les stades d’entraînement. C’est le cas notamment des communes de Jemmal, Hammam-Sousse et Kalaa Seghira. La télévision tunisienne, pour sa part, a renforcé ces capacités matérielles afin de répondre aux besoins de la transmission en direct depuis les six sites de la compétition.
La Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) a fait beaucoup d’efforts pour assurer un « risque zéro » dans les stades en remodelant les transformateurs et en
mettant en place des groupes de secours. Des dispositions d’autant plus importantes que les matchs se déroulaient en nocturne et qu’ils étaient retransmis dans le monde entier. Tunisie Télécom, pour sa part, a augmenté la capacité de son réseau GSM dans les zones des stades pour faire face au boom des communications. L’État a par ailleurs accordé au Cocan une subvention de 2,6 millions de dinars comme contribution à ses frais d’installation, de fonctionnement et pour les dépenses occasionnées par la cérémonie d’ouverture.
Pour ce qui est des retombées économiques, elles sont surtout visibles dans le secteur du tourisme. Les organisateurs estiment à quelque 17 000 le nombre des Algériens venus en Tunisie pour supporter leur équipe éliminée en quarts de finale. Les Marocains n’ont pas
suivi le mouvement, puisque seuls 3 000 d’entre eux ont fait le déplacement, dont 2 000 par avion et 1 000 par bateau pour la finale. Ce qui traduit une défaillance des
compagnies aériennes des deux pays qui auraient dû s’impliquer davantage dans les vols charters. On a certes vu un nombre accru de supporteurs des Lions de l’Atlas sur les gradins de Radès pour la finale, mais ils appartenaient à la communauté de quelque 5 000 Marocains résidant en Tunisie à qui les organisateurs ont accordé une priorité pour l’obtention des billets.
Le flot de visiteurs originaires d’Afrique subsaharienne n’a pas été à la mesure de l’événement. Beaucoup d’entre eux ont profité de la présence à Tunis de centaines de fonctionnaires de la Banque africaine de développement (BAD) pour bénéficier d’un hébergement à bon compte. Au total, on estime à un millier le nombre des Sénégalais à avoir fait le voyage, alors que les Nigérians étaient autour de 800, et les Sud-Africains environ 400. Quelques centaines de personnes étant venues supporter les autres équipes subsahariennes.
À la fin de janvier, les entrées touristiques en Tunisie ont augmenté de 28 % pour les Algériens et de 25 % pour les Libyens. Les hôteliers de Tunis, Sousse, Monastir et Bizerte ont fait de bonnes recettes en cette période de basse saison. Entre le 1er janvier et le 10 février, les nuitées dans les hôtels étaient en hausse de 19 % par rapport à la même époque l’an dernier. À lui seul, le Cocan a payé pour l’hébergement et la nourriture des équipes, des arbitres et des membres de la délégation de la CAF la somme de 1,1 million de dinars (voir encadré p. 36). Il a également déboursé 1,3 million de dinars pour le transport de tout ce petit monde Seule la ville industrielle et commerciale de Sfax gardera un souvenir mitigé des retombées de la Coupe. Non seulement ses infrastructures hôtelières ne lui permettaient pas de recevoir des visiteurs à faible pouvoir d’achat, mais elle a aussi subi des dégâts matériels de supporteurs algériens à l’occasion du match de quart de finale Maroc-Algérie. Ils sont estimés par la CAF à 18 652 dollars, montant de l’amende infligée à la fédération algérienne.
Au vu des dépenses, des recettes directes et des retombées économiques, peut-on dire que la Tunisie est bénéficiaire de l’opération ? Si l’on s’en tient aux seuls chiffres, la CAN n’aura finalement pas coûté trop cher au pays. D’abord, parce que le gros de l’investissement avait déjà été réalisé avec la construction du stade de Radès pour les jeux Méditerranéens de 2001. Par ailleurs, les 15 millions de dinars utilisés pour aménager les autres stades qui en avaient de toute façon besoin ne sont qu’une
bagatelle à côté de ce qu’a investi le Mali en infrastructures pour recevoir la CAN 2002.
Le bilan final aurait été tout autre si l’équipe de Tunisie n’avait pas remporté le titre : les gradins des stades auraient été bien dégarnis et les recettes se seraient révélées catastrophiques. Aurait-elle été éliminée, et la dépense de 5 millions de dinars pour les deux heures de spectacle de la cérémonie d’ouverture, superbe au demeurant, aurait paru trop élevée. Les Tunisiens auraient-ils été éliminés en quart de finale que le Cocan n’aurait pu équilibrer son budget, qui a atteint 9,5 millions de dinars.
Il faut aussi prendre les retombées en termes de prestige, qui sont difficilement mesurables et vont s’étaler dans le temps. Il y a sûrement un gain d’image pour la Tunisie avec la retransmission télévisée dans 150 pays (contre 110 pour la CAN 2002 au Mali). La Fédération tunisienne de football (FTF) s’attend à un effet positif sur ses rentrées à venir. « Le fait d’être champion d’Afrique aura des retombées indirectes, déclare son président Hamouda Ben Ammar. Nous participerons en 2005 à la Coupe des confédérations en Allemagne. Nous tablons sur plus de 10 millions de dollars de recettes. » Le titre de champion d’Afrique va aussi permettre à la Fédération tunisienne d’intéresser de nouveaux partenaires financiers. Le sponsoring et la publicité locale dans le football se sont développés au cours des dernières années. La FTF est passée de 350 000 dinars de recettes en 2002 à 660 000 dinars en 2003. Les principaux partenaires de l’équipe nationale étant Puma, Coca-Cola, Tunisie Télécom, BIAT (un établissement bancaire), Sabrine (eau minérale), Président (fromage) et Samsung. « Avec ce titre, nous
espérons atteindre 1 million de dinars en 2004 », indique Hamouda Ben Ammar.
Sur un autre plan, la CAN 2004 a confirmé les capacités d’organisation de la Tunisie, ce qui, aux yeux des autorités, lui donne un atout supplémentaire pour sa candidature en vue du Mondial 2010. Et, là, les retombées économiques seront autrement plus importantes. L’Allemagne, qui organise le Mondial 2006, s’attend à ce qu’elles atteignent 8 milliards d’euros étalés sur la période 2003-2010.

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