Arme de contrition massive

Publié le 2 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Entre le 24 et le 26 février, tout l’édifice bâti minutieusement par le colonel Kadhafi pour sortir de la nasse des sanctions internationales et se réconcilier avec les Américains et les Britanniques a failli capoter par la faute de son Premier ministre
Choukri Ghanem. Croyant bien faire, ce dernier a accordé, le 24 février, une interview à la chaîne britannique BBC Radio 4’s, où il a parlé de la nouvelle politique d’ouverture de son pays, du démantèlement des armes de destruction massive (ADM), etc. Présenté comme un homme talentueux et prometteur, Ghanem est un économiste libéral. Il fait partie, comme
le fils de Kadhafi, Seif el-Islam, des « pro-Américains » du régime qui veulent changer la politique intérieure et extérieure du Guide. Pour eux, les sanctions américaines (1982) et onusiennes (1992) coûtent trop cher au pays : plus de 35 milliards de dollars (embargos pétrolier, commercial, financier, aérien, diplomatique).
Seif el-Islam, Choukri Ghanem, Abderrahmane Chalgham (ministre des Affaires étrangères) et
quelques autres, y compris des chefs d’État voisins et amis, comme le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, ont réussi à convaincre le Guide de changer de cap. Au pouvoir depuis 1969, il pense désormais à sa succession. Et cède : le procès de Lockerbie se termine par l’emprisonnement à vie d’un ressortissant libyen et la reconnaissance de la responsabilité de l’État libyen dans cet attentat qui a détruit un avion américain (270 morts en 1988). Un mea-culpa est adressé le 15 août 2003 au Conseil de sécurité, suivi du
versement d’une indemnité de 2,7 milliards de dollars aux familles des victimes et, en décembre, de la décision de démanteler le programme ADM (voir « En vérité » p. 38).
Totalement soumis au diktat anglo-saxon, les Libyens n’avaient plus le droit que d’aller de l’avant dans leur contrition, sans revenir sur le passé Mais il a suffi d’une question vicieuse et d’une réponse spontanée pour soulever un tollé de protestations à Washington et à New York. « Nous avons acheté la paix », a déclaré le Premier ministre, sans nuance. Relancé par le journaliste, Ghanem enfonce le clou : « Oui, cela ne signifie
pas une reconnaissance de responsabilité. » George W. Bush et Tony Blair exigent une rétractation immédiate. Kadhafi ordonne à Chalgham de le faire séance tenante.

« Comme nous l’avons écrit le 15 août 2003, la Libye est responsable de l’action [] qui a entraîné l’explosion de l’avion américain. [] Les récentes déclarations contredisant ou
jetant le trouble sur cette position sont inexactes et regrettables », écrit-il, le 25 février, dans un communiqué diffusé seulement en anglais et à l’étranger. Les Libyens de l’intérieur ne sauront donc rien de cette affaire, ni de l’affront spectaculaire subi par leur Premier ministre. Le 26, Bush et Blair se déclarent satisfaits de cette issue et confirment leur confiance en Kadhafi En signe de gratitude, la Maison Blanche décide le même jour d’autoriser les compagnies pétrolières américaines à revenir en Libye ainsi que les citoyens à s’y rendre pour tourisme ou affaires. Elle demande aux Libyens d’ouvrir
une section diplomatique à Washington, mais pas encore une ambassade Et confirme que les
autres sanctions américaines demeurent inchangées : gel des avoirs libyens, embargo commercial et inscription de la Libye sur la liste des États terroristes. Une sorte d’épée de Damoclès

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