Tunisie : les industriels du lait accusent le gouvernement de tuer la filière

Pour les industriels laitiers tunisiens, la politique publique de fixation des prix du lait à un niveau très bas – quitte à le subventionner via la Caisse générale de compensation (CGC), comme c’est le cas depuis quelques jours – est néfaste pour toute la filière.

Du lait dans un supermarché à Tunis. © Ons Abid pour Jeune Afrique

Du lait dans un supermarché à Tunis. © Ons Abid pour Jeune Afrique

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Publié le 23 juillet 2018 Lecture : 3 minutes.

Le gouvernement a décidé le 6 juillet de revaloriser le secteur laitier en augmentant les primes des producteurs et des collecteurs sans toucher au prix d’achat pour le consommateur du litre de lait stérilisé demi-écrémé. Une décision qui a provoqué l’ire des industriels de la filière, qui avaient laissé planer la menace d’une grève, en avril dernier, avant de donner à l’État quelques semaines supplémentaires afin de « continuer à discuter sur un calendrier de revalorisation progressive des prix », comme l’expliquait alors Boubaker Mehri, le président de la Chambre nationale syndicale des industries du lait et dérivés.

Les éleveurs tunisiens vendent ainsi désormais le litre de lait à 0,89 dinar (29 centimes d’euro) contre 0,766 dinar par litre auparavant. Une augmentation amortie par la Caisse générale de compensation (CGC), qui prend en charge 0,124 dinar par litre. Les collecteurs, eux, ont vu leurs primes versées par l’État s’accroître de 0,07 à 0,09 dinar par litre. Quant aux industriels, qui achètent le lait plus cher, ils reçoivent une compensation de 0,16 dinar par litre de la part de la CGC, de façon à ce que les clients continuent de payer le litre de lait stérilisé demi-écrémé à 1,12 dinar le litre.

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Situation de pénurie

La Chambre nationale syndicale des industries du lait et dérivés, dépendante du syndicat patronal de l’Utica, s’est fendue jeudi 19 juillet d’un communiqué fustigeant « le mépris du gouvernement » émanant de cette décision qui met les industriels devant le fait accompli. Pour l’organisation patronale, cette aide publique encourage la contrebande et entraîne une situation de pénurie. Le lait subventionné tunisien est revendu dans les pays voisins, où il coûte plus cher : 1,89 dinar par litre au Maroc et 1,77 dinar en Égypte. Les briques de lait se font d’ailleurs rares dans les rayons des supermarchés et des épiceries. « En refusant d’aller vers une libéralisation des prix comme nous le préconisons, l’État tue la filière », dénonce Boubaker Mehri.

On ne vit pas de la production du lait en Tunisie. On va finir par importer

Les producteurs de lait sont également critiques de la mesure gouvernementale. Pour eux, l’augmentation n’est pas suffisante. L’Utap, le principal syndicat agricole, considère qu’il s’agit d’une « étape positive », mais estime que le prix de vente aux collecteurs devrait se situer entre 0,95 et 1 dinar pour couvrir les coûts de production.

Un occasion ratée de sauver la filière, pour Synagri

Chez Synagri, syndicat minoritaire mais présent lors des négociations avec le ministère de l’Agriculture, on déplore une occasion ratée de sauver la filière. « Depuis trois mois, les producteurs tirent la sonnette d’alarme, même ceux qui ont un important troupeau, de l’ordre de 120 vaches. Beaucoup ont déjà vendu leur cheptel à l’étranger pour retrouver des fonds et se sont tournés vers l’huile d’olive, car on ne vit pas de la production de lait en Tunisie. Le pays va finir par importer », assène Faouzi Zayabi, vice-président de Synagri, qui estime qu’au moins 30 % des vaches laitières tunisiennes sont passées dans les pays voisins, notamment en Algérie.

Lui non plus ne considère pas le recours à la CGC comme une solution pérenne. En effet, la baisse du dinar face aux devises étrangères renchérit les importations de nourriture concentrée pour les bovins. Le budget de la Caisse générale de compensation a plus que doublé depuis 2010 pour atteindre 1,6 milliard de dinar (517 millions d’euros), soit 1,7 % du PIB tunisien.

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« C’est au consommateur de payer », estime Faouzi Zayabi. Un tournant que le gouvernement, sérieusement ébranlé par les manifestations contre la cherté de la vie en début d’année, n’est pas prêt à prendre. Pour le moment, les organisations patronales et syndicales maintiennent la pression dans les commissions de travail avec le ministère de l’Agriculture. Mais si la situation ne bouge pas, elles pourraient, comme annoncé en avril, décider de suspendre la distribution. Et là, le lait ne serait plus rare, mais absent des rayons.

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