Une candidate nommée Désir

Symbole d’un besoin de changement quasi général, Ségolène Royal s’envole dans les sondages.

Publié le 31 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Comme on demandait à Ségolène Royal qui serait amené à les départager, François Hollande et elle, pour l’investiture du Parti socialiste à l’élection présidentielle, elle répondit avec ce sourire charmeur dont elle a le secret : « Ce sont les enfants qui décideront. » Le petit parlement familial n’aura pas à trancher, tant les sondages unanimes la désignent désormais pour le rôle, loin devant son compagnon et les autres présidentiables socialistes. Ils indiquent clairement que les Français, hommes et femmes confondus, sont de plus en plus nombreux à estimer qu’elle serait un bon président de la République. Et que les sympathisants de gauche jugent qu’elle aurait le plus de chances de l’emporter.
Les médias, pour leur part, s’interrogent sur les raisons profondes de cette flambée de popularité sans précédent par son ampleur et sa rapidité, et qui, par un esprit de contradiction très gaulois, semble gagner du terrain à mesure que se renforcent les résistances au sein même du PS.
Les instituts de sondages avancent une explication globale qui en résume beaucoup d’autres : la nouveauté. Valéry Giscard d’Estaing a dit un jour : « Les Français croient qu’ils veulent le changement parce qu’ils aiment ce qui est nouveau. » Il serait vain d’apprécier les potentialités de changement de la candidature de Ségolène Royal, dont on ne connaît ni les objectifs ni le programme. Pour la nouveauté, en revanche, aucune ne peut rivaliser avec la sienne. D’abord, parce qu’elle est celle d’une femme, à un moment où l’irrésistible mouvement de l’émancipation féminine reçoit logiquement, dans plusieurs démocraties, la consécration du pouvoir. Ségolène a montré la sûreté de son intuition en se rendant au Chili, alors que ses amis célébraient le dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand, non pour soutenir Michelle Bachelet, la candidate socialiste à la présidence, qui n’en avait nul besoin, mais pour crédibiliser sa propre tentative. « Il faut bien comprendre, répète-t-elle à l’envi, qu’on est en train de changer d’époque. » Plus féminine d’ailleurs que féministe, elle a su associer sa démarche à la défense de la famille et des valeurs traditionnelles, ce que traduisent ses bons résultats dans la « clientèle » UDF/centre gauche.
« Elle est forte de la faiblesse des autres, » remarque le magazine Elle, qui vient de lui consacrer sa couverture. De fait, les divisions de son camp, paradoxalement, l’avantagent. Face à la représentation brouillée d’un PS agrippé à ses rivalités de personnes sous couvert de désaccords de programmes, elle apparaît comme celle qui fait de la politique autrement et s’efforce d’en donner une image claire, moderne, conviviale.
Il est significatif qu’elle soit jugée compétente, crédible et capable de représenter la France à l’étranger, alors même qu’elle n’a jamais précisé ses positions sur les grands dossiers économiques et diplomatiques. « Elle est une synthèse à elle toute seule », remarque Julien Dray, son copain de longue date. C’est également vrai de ses propres contradictions, dont elle a réussi à faire une complémentarité. Candidate d’ouverture atypique, peaufinant ses différences de style et de langage, cultivant sa proximité avec « les gens », elle est aussi une « pro » chevronnée, une familière du sérail : énarque, trois fois ministre et parlementaire constamment réélue depuis vingt ans, elle préside par ailleurs la région Poitou-Charentes, qu’elle arracha de haute lutte à la droite.
Symbole de renouveau, son ambition est en réalité une longue patience : en 1995 déjà, elle avait essayé de se faufiler entre Henri Emmanuelli et Lionel Jospin, les deux prétendants socialistes au perchoir de l’Assemblée nationale. Désormais aux franges du PS, elle n’est pas une marginale de la gauche. Elle se situe ostensiblement à part, mais se garde d’apparaître ailleurs. Sa force est d’appartenir à un système qui sanctionne impitoyablement les dissidences ; son habileté, de paraître s’en démarquer, se plaçant ainsi en bonne position pour récupérer les cohortes d’électeurs déçus, d’une élection à l’autre, par l’oubli des promesses et la confusion gestionnaire des gouvernances.
La juge-t-on sur les apparences, comme l’affirment ses détracteurs, qui voient en elle un pur produit de marketing ? Peut-être. Mais dans cette société de l’image et du geste, ce sont les impressions qui comptent. Surtout à la télévision, où Ségolène Royal excelle. « La présidence n’est pas un concours de beauté », s’emporte Jack Lang, fustigeant ce qu’il appelle une « candidature par défaut ». En attendant, l’opinion est sous le charmeSégolène n’a certes ni réseau, ni courant, ni même des troupes pour l’accompagner, mais cette légèreté d’appareil l’a plutôt aidée jusqu’ici dans son escalade solitaire à mains nues. Optimiste par nécessité, déterminée par tempérament, elle continuera de jouer « perso » sans commettre l’imprudence de chercher à passer en force. Elle est assez réaliste pour connaître et préciser elle-même les limites de son entreprise. Elle ne sera pas candidate malgré tout, mais seulement si le PS la sollicite pour faire gagner son camp. Elle convient que les sondages, qui peuvent se tromper, ne font pas l’élection. Si révélatrices soient-elles d’un impérieux désir de changement qu’elle incarne avec éclat – le mouvement qu’elle s’apprête à créer s’appellera « Désir » -, les sympathies qu’elle accumule ne sont pas encore, ou ne resteront pas forcément, des intentions de soutien durables. Ségolène Royal sait surtout que les sympathisants d’aujourd’hui ne sont pas les militants qui, demain, seront appelés à trancher, sans appel. Si elle est évincée, elle n’aura alors plus de recours, mais conservera un avenir. Déjà, certains se demandent si sa mission secrète n’est pas d’occuper un vide en attendant Jospin

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