Risque payant

Malgré un « environnement des affaires » qu’ils jugent peu satisfaisant, les entrepreneurs français implantés en Afrique gardent le moral.

Publié le 1 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Pour Anthony Bouthelier, président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), qui regroupe une centaine de sociétés et un réseau de 1 500 filiales représentant près de 80 % de l’activité économique française en Afrique, « le vrai développement se fait quand il y a osmose entre un État fort et un secteur privé dynamique ». Et, à cet égard, le continent n’est pas au mieux, affirme l’organisation patronale. Fort d’un réseau suffisamment étendu, le Cian est en mesure d’offrir une topographie relativement précise de l’évolution de la conjoncture et des opportunités offertes par le marché africain. « Les sociétés déjà présentes continuent d’investir et certaines d’entre elles ont augmenté leur volume d’activités. Mais pour le reste, exception faite du pétrole, il n’y a pas ou très peu de nouveaux investissements étrangers. C’est notamment le cas dans la partie francophone, où la conjoncture est morose, contrairement aux pays anglophones, plus dynamiques », a résumé Bouthelier lors de la présentation du rapport Cian 2006 (1). Faut-il pour autant parler de sinistrose ? Interrogés sur une série d’indicateurs (voir tableau), les entrepreneurs français se montrent critiques sur ce qui est convenu d’appeler « l’environnement des affaires ». Infrastructures déficientes, douaniers tatillons, ou carrément peu scrupuleux, pesanteurs bureaucratiques, justice aléatoire, fiscalité fluctuante, coûts de production trop élevés, la liste des griefs est connue. Repose-t-elle sur une réalité ou n’est-elle que la reprise de clichés qui ont la vie dure ? Car, après tout, si l’Afrique ne représente que 3 % des investissements privés à travers le monde, les entreprises présentes n’ont pas trop à se plaindre de leur situation. Les exemples de réussite ne manquent pas. Vincent Bolloré, par exemple, grâce à une logique d’intégration des activités agricoles, de commercialisation et de transport, a bâti un empire au sud du Sahara dans les années 1990. Même si le groupe vient de céder son activité maritime, Bolloré en Afrique, c’est toujours 1 milliard d’euros de chiffres d’affaires, 100 millions d’investissements annuels et plus de 28 000 employés. « Le secteur privé a un rôle primordial dans la relance de l’économie africaine et nous nous réjouissons d’une amélioration de l’environnement des affaires », déclare Michel Roussin, vice-président de Bolloré, qui s’est recentré principalement sur les activités portuaires et le transport terrestre à l’échelle du continent. On peut aussi citer CFAO, leader en Afrique de la distribution automobile, pharmaceutique et dans les nouvelles technologies. Avec quelque 11 000 collaborateurs répartis dans 127 filiales, CFAO est présent dans 30 pays après 12 nouvelles implantations ces six dernières années : Égypte, Algérie, Maroc, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Malawi, République démocratique du Congo, Guinée équatoriale, île Maurice et Tahiti. Malgré une baisse d’activité ressentie en Afrique subsaharienne francophone, le chiffre d’affaires 2005 est de 2 milliards d’euros, en progression de 9,4 %. « Nous sommes présents en Afrique depuis plus de cent ans, on connaît donc très bien l’environnement qui n’est pas pour nous un handicap », résume Alain Viry, PDG de CFAO. Dans le bâtiment et les travaux publics, Bouygues n’est pas mal loti non plus avec 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2004 sur un total de 23, 4 milliards. Si la concurrence chinoise commence à se faire ressentir dans la construction, Bouygues a su préserver des positions dominantes, notamment en Côte d’Ivoire dans la gestion de l’eau et de l’électricité. « Dans ce pays, explique Bouthelier, les entreprises ont appris à gérer une situation difficile et durable. » Pour Jean Dollé, conseiller économique et commercial en poste à Abidjan, « les petites et moyennes entreprises parties lors des émeutes de novembre 2004 ne sont pas revenues, mais les gros groupes sont restés. La France représente toujours entre 25 et 30 % de parts de marché ».
Si les patrons français rechignent à le reconnaître publiquement, les discussions en « off » reviennent régulièrement sur une évidence : la rentabilité en Afrique est élevée mais le risque aussi. Il suffit de se reporter au dernier rapport de la Coface pour s’en convaincre. Dans sa livraison 2006, rendue publique le 24 janvier, la société d’assurance à l’exportation donne la note B à l’Afrique subsaharienne sur un barème allant de A1 à D. Les tensions sociales ou ethniques, l’instabilité politique, les menaces de conflit, l’environnement économique défavorable et les incidents de paiement sont autant de facteurs dissuasifs pour les milieux d’affaires.
« Les entreprises habituées à ce contexte tirent leur épingle du jeu, mais pour les autres, le défi fait peur, reconnaît Bouthelier. Comme le risque-pays est élevé, les sociétés ont tendance à privilégier les investissements à retour rapide au détriment des programmes structurants étalés sur du long terme. La seule exception porte sur les matières premières car le marché n’est pas en Afrique. Les investissements dans le pétrole et les mines sont faits pour approvisionner le reste du monde. Mais pour le reste, le marché africain est encore trop réduit et trop atomisé pour attirer de nouveaux partenaires. » A n’en pas douter, la marginalisation de l’Afrique dans l’économie mondiale repose pour une large part sur cet état de fait.

* Publié dans Le Moci n° 1735-1736 (www.lemoci.com)

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