Passion cinéma

Le manque de moyens n’entame pas la volonté de promouvoir, à Ouidah, les films du continent.

Publié le 1 février 2006 Lecture : 3 minutes.

« L’argent, l’argent, l’argent » À l’ouverture du festival Quintessence de Ouidah, qui s’est déroulé du 7 au 11 janvier, son fondateur Jean Odoutan ne mâche pas ses mots pour résumer la situation de l’un des événements culturels les plus singuliers d’Afrique. Le fantaisiste cinéaste béninois avait beau compter sur les sponsors pour cette quatrième édition, la route est encore longue : manque de soutien de la part de l’État, difficulté à organiser une manifestation d’envergure sans moyens logistiques Quintessence s’en remet donc à un système D, qui, d’année en année, fait son charme en même temps qu’il montre ses limites. L’avantage ? Un événement cinématographique à l’atmosphère un peu folle qui, avec plus de cent films présentés et six lieux de projection disséminés dans la ville de Ouidah, peut se targuer d’être le second d’Afrique de l’Ouest, après le Fespaco. La faiblesse ? De multiples imprévus, telles ces coupures d’électricité récurrentes qui entraînèrent l’annulation de plusieurs projections nocturnes.
Dans la grande cour de la demeure de Jean Odoutan, véritable QG du festival, ingéniosité et réactivité sont de mise : un projecteur 35 mm n’arrivera pas par le vol Air France pour cause d’excès de poids, et c’est une poignée de bricoleurs qui tentent, à quelques heures de l’ouverture, de réparer le matériel disponible sur place. Fort heureusement, le festival ne se résume pas seulement à cette situation précaire et impose une identité de plus en plus affirmée. La grande qualité de la sélection de longs-métrages en témoigne : outre certains films africains projetés au Fespaco ou dans les salles françaises (La Nuit de la vérité, de Fanta Regina Nacro, et Delwende, du Burkinabè Pierre Yaméogo), quelques beaux inédits délièrent les langues d’un public avide de débats – notamment lors des projections en plein air au marché Sobeto ou devant le Temple des pythons, fierté de la ville. Parmi les surprises, Lili et le Baobab, de Chantal Richard, qui pose le point de vue d’une jeune Française sur les tabous sociaux dans un petit village du Sénégal.
Mais le choc est venu d’un film présenté hors compétition, Et si Latif avait raison !, du Sénégalais Jo Gaï Ramaka : violemment anti-Wade, ce documentaire dresse un bilan sans concessions de l’alternance incarnée par le président sénégalais, sur un mode empruntant à la verve pamphlétaire d’un Michael Moore tout en se risquant à une analyse plus en profondeur – bien qu’évidemment très partiale. Questionnement d’un système imparfait, recours à des images d’archives rares et éloquentes, le film trouve dans la situation politique béninoise, à quelques semaines de l’élection présidentielle de mars 2006, un écho inattendu. La diffusion d’un tel film résume bien l’esprit d’ouverture de Quintessence : cette insolence, symbolisée par la personnalité même de Jean Odoutan (on se souviendra des « Odoutan président ! » de la cérémonie d’ouverture lancés devant un représentant du ministère de la Culture éberlué) témoigne d’une fraîcheur valant simultanément comme formidable élan et épée de Damoclès pour un festival délaissé par les principales institutions du pays.
Il serait néanmoins injuste de résumer l’événement à cette manière de roue libre, les enjeux plus profonds d’une implantation du cinéma dans un pays sinistré à ce niveau demeurant la principale obsession des organisateurs. Outre le festival itinérant qui prolonge la manifestation dans le pays et la création cette année d’une école de cinéma à Ouidah à l’initiative d’Odoutan, la relation avec le public local reste essentielle : situé devant le vaste Institut de formation à la santé publique, le long de la Route des esclaves qui mène à la Porte-de-Non-Retour, face à l’océan, Quintessence bénéficie d’un cadre à nul autre pareil, Ouidah demeurant le joyau culturel et touristique du pays, aire de calme située à une petite demi-heure de voiture des brumes de pollution de Cotonou. Lors de la grande journée nationale du Vodou, dont Ouidah est le berceau, la célébration egungun se mêle au festival, marquée par les parades de revenants masqués secouant violemment la foule des non-initiés : plus de frontière entre fête de rue et cinéma, traditions ancestrales et culture populaire. Alors Quintessence trouve-t-il, pour un instant seulement, sa raison d’exister dans l’attente d’une logistique à la mesure de ses promesses.

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