RDC – Expropriations à Mborero : quand Joseph Kabila impose sa loi
Dans la province tourmentée du Sud-Kivu, un conflit foncier oppose le président Joseph Kabila à plusieurs centaines d’habitants de la localité de Mbobero. Zone militarisée, maisons détruites, habitants expropriés…
Ce 30 janvier 2016, le docteur Charles Kachungunu est en train d’opérer un patient dans son petit hôpital de Mbobero, lorsque l’alimentation est soudainement coupée. Une à une, les vitres du bâtiment volent en éclat. Sous la supervision vigilante de la Première dame, Olive Lembe Kabila, des policiers et des militaires tentent de détruire la bâtisse avec des haches et des masses. « Mais ils n’y sont pas parvenus, selon le récit délivré à Jeune Afrique par l’épouse du docteur. Alors ils sont revenus le lendemain avec un bulldozer pour finir le travail. » Entre-temps, les malades – certains dans un état grave – ont été évacués en toute hâte vers d’autres centres de santé.
Une quarantaine de maisons seront rasées ce jour-là à Mbobero, selon un décompte de la Nouvelle dynamique de la société civile du Sud-Kivu (NDSCI). Le premier acte d’un conflit foncier opposant les habitants de la localité au président Joseph Kabila.
« Avec le Conseil de sécurité de la province, qui regroupe notamment le procureur et les services de renseignement, j’avais pris la décision de détruire ces habitations, explique à Jeune Afrique Marcellin Cishambo, l’ancien gouverneur du Sud-Kivu, sous-entendant qu’il s’agissait là d’une décision administrative et non de l’autorité judiciaire. Car il fallait rétablir le président de la République dans ses droits. »
Un climat de terreur
En 2009, Joseph Kabila avait en effet choisi d’élire domicile sur cette petite colline boisée, située à quelques centaines de mètres du lac Kivu et à moins de dix kilomètres de la grande ville de Bukavu. Et le chef de l’État entend bien faire déguerpir les habitants installés « illégalement » selon lui sur sa propriété.
2 500 personnes se sont retrouvées à la rue. Ils n’ont reçu aucune contrepartie
Le deuxième acte du conflit entre Kabila et ses concitoyens intervient le 8 février 2018, lorsque les éléments de la Garde républicaine (GR) détruisent 227 habitations – toujours selon un décompte de NDSCI. « Environ 2 500 personnes se sont alors retrouvées à la rue, déclare à Jeune Afrique Jean Chrysostome Kijana, le président de cette ONG opérant au Sud-Kivu, qui a récemment porté plainte après avoir reçu des menaces de mort. Ils n’ont reçu aucune contrepartie financière et vivent aujourd’hui dans la misère. »
Aux opérations d’expropriation s’ajoutent un climat de terreur entretenu par la présence des soldats de la GR. « Ils sont plusieurs centaines dans le coin, explique l’un des habitants Kasanzi Zahinda Shabade, par ailleurs vice-président du comité de victimes de Mbobero, dont la maison construite 35 ans plus tôt a également été détruite. Les militaires extorquent de l’argent aux mamans qui vont aux champs. En juillet 2017, un jeune de 21 ans a été tué d’une balle tirée à bout portant par un homme de la GR, parce qu’il refusait de donner son téléphone portable. Et un enfant de deux ans est également mort après avoir inhalé du gaz lacrymogène. Personne n’a été inquiété pour le moment. Et nous, nous sommes livrés à notre triste sort. »
On te donne 24 h pour retirer la vidéo ou on te tue
Jusqu’à présent silencieux, le drame des habitants de Mbobero a récemment fait l’objet d’un documentaire réalisé pour la NSCI. Intitulé « Mbobero, la loi du plus fort est toujours la meilleure », le film diffusé sur Youtube s’interroge sur l’appétit du chef de l’État et de son épouse.
« Nous sommes très surpris que la concession du citoyen Kabila ne cesse de s’agrandir, déclare ainsi dans le film Jean Chrysostome Kijana. De 200 hectares, nous sommes aujourd’hui à plus de 600 hectares. » Suite à la diffusion du film, début juillet, son réalisateur Gaël Mpoyo reçoit également des menaces très explicites, à l’image de ce message reçu sur son portable : « On te donne 24 h pour retirer la vidéo ou on te tue ». Depuis, l’intéressé se cache à l’étranger.
Contacté par Jeune Afrique, l’actuel gouverneur du Sud-Kivu, Claude Nyamagubo, estime que « ce documentaire ne raconte que des faussetés sur Joseph Kabila ». « Le président est aussi un père de famille, qui a le droit d’acquérir des biens immobiliers, déclare-t-il. Il a même donné un ultimatum de trois mois pour que ceux installés illégalement sur sa concession puissent s’en aller. Beaucoup sont partis, mais certains ont été instrumentalisés, notamment par le docteur Denis Mukwege et une religieuse italienne qui multiplie les lobbyings à l’étranger. »
Un imbroglio financier
La réalité est un brin plus complexe. S’étalant sur plusieurs décennies, l’affaire de Mbobero fait intervenir une kyrielle d’acteurs, donnant à cette affaire des airs d’invraisemblable imbroglio foncier. Résumons : jusqu’en 1974, l’endroit est la propriété d’un Belge, un dénommé « Maître Michaux ». Tombé malade et accablé de dettes, celui-ci ne parvient plus à rémunérer les huit ouvriers qu’il emploie. Alors, peu de temps avant sa mort, Michaux décide de leur permettre d’exploiter chacun un lopin de terre pour assurer leur subsistance.
Mais l’usufruit des ouvriers est rapidement contesté par un nouvel acteur, Jean-Baptiste Mihigo Chokola. Lequel, avec certains titres de propriété à l’appui, affirme être le réel propriétaire des lieux. S’estimant dans leurs bons droits, les ouvriers saisissent la justice et obtiennent gain de cause en septembre 1982. Le jugement aurait finalement été cassé en appel une décennie plus tard – les sources divergent sur ce point -, mais cela n’empêchera pas les ouvriers d’enregistrer des titres de propriété en faisant valoir leurs droits acquis. Des titres qui se superposent à ceux dont se prévaut Mihigo Chokola. Bref, c’est la confusion !
Le titre remis à Kabila n’avait aucune valeur juridique
Courant 2009, le président Joseph Kabila cherche à acquérir une propriété dans le Sud-Kivu. Aux dires de l’ancien ministre Norbert Basengezi Katintima, lui et Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale, auraient alors négocié auprès du gouverneur de l’époque, Luis Mederwha, la vente de sa propre concession au chef de l’État. Mais les négociations capotent. Et le gouverneur propose plutôt l’octroi au président de la concession de Mbobero, en s’appuyant sur trois arrêtés datant de 2006, 2008, 2009, qui disposent que l’endroit relève désormais du domaine privé de l’État. En d’autres termes, de lui offrir gratuitement une immense propriété.
Le 24 décembre 2009, le certificat d’enregistrement est établi au nom de Joseph Kabila Kabange. Mais le document en lui-même est problématique. La superficie mentionnée dans le titre de propriété (150 ha) est largement inférieure à celle figurant sur le croquis (180 ha) – soit un gain de 30 ha à l’avantage du président. « Aucun mesurage sur le terrain n’avait été réalisé, explique une source administrative bien informée. De fait, le titre remis au chef de l’État n’avait aucune valeur juridique. »
Averti de la manœuvre, Mihigo Chokola fait valoir son droit sur la concession. Il propose au chef de l’État une alternative : soit lui offrir une maison à Kinshasa, soit lui donner 300 000 dollars. Joseph Kabila accepte la seconde proposition, et un acte de vente est signé le 2 janvier 2010, portant sur un peu plus de 199 ha. L’argent sera remis en trois tranches, notamment par l’entremise de l’avocat Me Nkulu Mitumba Kilombo et de l’ancien ministre Norbert Basengezi Katintima – qui est actuellement le vice-président de la Commission électorale nationale indépendante.
RDC – Mborero : Acte de vente Cokola-Kabila by jeuneafrique on Scribd
« Il a été payé en trois tranches pour la simple raison qu’il traînait à déplacer les originaux des documents de sa concession de Bruxelles (Coffre) vers Kinshasa et montrer ses limites », explique Norbert Basengezi Katintima dans une note, publiée le 19 juillet dernier et adressée aux représentants de sa communauté.
RDC – Mborero – Contribution de Norbert Basengezi Katintima by jeuneafrique on Scribd
« Le chef de l’État ne chasse pas les gens »
Mais la transaction fait fi des droits des autres occupants de la concession : les anciens ouvriers de Michaux, leur descendance, et ceux qui leur ont acheté des parcelles. C’est notamment le cas du docteur Kachungunu, qui a acquis légalement sa parcelle en 2010 auprès d’un certain Lufungulo Mparanyi. Il avance pour preuve un certificat d’enregistrement notarié, qui porte la signature du conservateur des titres immobiliers (document ci-dessous). Mais cela n’empêchera pas la destruction de son hôpital le 30 janvier 2016, ainsi que celle des habitations de quelque 2 500 personnes.
Certificat d’enregistrement original (Mborero) by jeuneafrique on Scribd
Contacté par Jeune Afrique, le chef de la maison civile de Joseph Kabila – en charge de toutes les affaires domestiques du président -, assure « ne rien connaître à cette affaire ». « Lorsque le chef de l’État achète quelque part, il ne chasse pas les gens. La preuve avec l’ouverture du parc animalier de la vallée de N’sélé dans la capitale Kinshasa, où personne n’a été exproprié. » À Mbobero, Joseph Kabila a semble-t-il choisi de faire une exception.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?