Des fonctionnaires marocains pour identifier les enfants des rues du 18e arrondissement de Paris

Des fonctionnaires venus du Maroc sont actuellement en mission à Paris, pour identifier les mineurs marocains qui errent dans les rues du 18e arrondissement depuis deux ans.

Des mineurs dans la rue du 18e arrondissement de Paris, en août 2017. © Capture d’écran Youtube / France 24

Des mineurs dans la rue du 18e arrondissement de Paris, en août 2017. © Capture d’écran Youtube / France 24

Arianna Poletti

Publié le 24 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

Depuis le 18 juin, une équipe spécialisée de quatre fonctionnaires marocains patrouille les rues de la Goutte d’Or, dans le nord de Paris. Leur mission : auditionner les 813 mineurs marocains placés en garde à vue au cours de la dernière année. C’est ce que prévoit l’ « accord administratif » signé le 11 juin entre la préfecture de police et l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa.

Cette mission « se donne pour objectif de réaliser, sous l’autorité et avec l’appui des services français de police et de justice, l’identification des jeunes » et « tentera de rétablir un lien avec les autorités du Maroc, les liens familiaux et, quand cela s’avérera possible, d’envisager le retour » des mineurs, selon la chancellerie marocaine.

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« Ces quatre fonctionnaires, dont un seul policier, ont mené cette mission depuis la mi-juin en coopération avec les autorités françaises, précise de son côté le ministère français de l’Intérieur. Ils aident à l’identification de ces mineurs marocains en procédant à des vérifications de leur véritable nationalité, de leur minorité annoncée et de leur région ».

Qui sont les mineurs de la Goutte d’Or ?

Venus du Maghreb, et du Maroc pour la plupart, une soixantaine de mineurs isolés de 13 à 17 ans errent depuis deux ans dans les rues du 18e arrondissement de Paris. Une étude menée par l’association Trajectoires retrace le parcours de ces enfants provenant souvent des quartiers périphériques de Tanger, de Fès et de Casablanca. Délaissés par leurs familles, influencés par les nouvelles de jeunes partis clandestinement pour l’Europe, ils ont décidé, eux aussi, de quitter leur pays.

De passage en France sur la route d’autres pays d’Europe, ces groupes de mineurs non accompagnés se retrouvent à la Goutte d’Or. Ils dorment dans la rue, dans un square, et vivent de menus larcins. Ils consomment des drogues en se livrant à des activités délinquantes comme des vols, des cambriolages, voire à de la prostitution. Ces mineurs semblent représenter un véritable danger pour le quartier, mais ils ne sont que des « victimes de leur condition de précarité », selon le Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam), une association activ dans le 18e arrondissement de la capitale.

Pourquoi ils n’ont pas été pris en charge ?

Les conditions de vie de ces enfants restent intolérables pour le Baam. « Nous les voyons chaque jour. Ils sont à la rue depuis longtemps et ils n’ont jamais été pris en charge. Pour la plupart ils ont été rejetés du dispositif d’évaluation des mineurs isolés. Au lieu de les traiter comme des enfants avec des problèmes sociaux et de santé, on les criminalise et on essaie de les expulser. L’État n’est-il pas capable de traiter un groupe de jeunes ? », s’offusque Heloise Mary, présidente du Baam. « Ces enfants sont des potentiels demandeurs d’asile. Au lieu d’examiner leur situation et de les soigner, nous faisons appel à une police étrangère. C’est la preuve des défaillance de notre système d’accueil des mineurs », tranche-t-elle.

Le dispositif de protection de l’enfance implique que les jeunes soient collaboratifs, et ce n’est pas le cas à la Goutte d’Or

Mais pour la mairie de Paris ces jeunes refusent toute prise en charge. Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile, constate en effet que « le dispositif de protection de l’enfance implique que les jeunes soient collaboratifs, et ce n’est pas le cas à la Goutte d’Or. Il s’agit d’une situation très ancienne et très problématique. Je ne suis pas contre le fait de collaborer avec le Maroc, parce qu’il n’y a pas de solution pour ces jeunes à Paris. Je ne m’oppose pas à leur retour au pays, mais il faut les prendre en charge une fois arrivés au Maroc », explique le directeur général. Ce qui n’est pas évident : l’accord administratif ne contient aucune précision sur le sort des mineurs une fois rapatriés au Maroc.

Les droits de l’enfant sont-ils respectés ?

C’est justement l’expulsion de ces mineurs qui pose beaucoup de problèmes. D’un point de vue juridique, « il n’existe qu’un seul précèdent de réacheminement de mineurs, de la France à la Roumanie. Mais la loi [sur l’accord de coopération franco-roumain, NDLR] a été déclarée inconstitutionnelle en 2010 

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« La convention de La Haye prévoit expressément que la loi applicable est celle du pays où se trouve l’enfant. Dans la loi française, lorsqu’un enfant est en situation de danger, l’intérêt supérieur du mineur s’impose. L’intervention d’un juge spécialisé est nécessaire. Mais les institutions judiciaires n’ont pas été saisies de la situation de ces mineurs marocains dans le cadre de cet arrangement administratif. Tout se passe dans la clandestinité, il n’y a pas eu de communication officielle », dénonce Emmanuel Daoud.

Les juges pour enfant décideront de toute mesure adéquate à la situation des mineurs concernés, assure le ministère de l’Intérieur

De fait, l’information n’a pu circuler que grâce au communiqué de l’association Gisti qui a eu accès au texte de l’accord administratif et au compte rendu d’une réunion du préfet de police du 11 juin 2018. Le ministère de l’Intérieur se veut cependant rassurant et affirme que « des travaux autour de l’identification de ces jeunes et de la recherche de leurs familles au Maroc sont en cours. Au cas par cas et sur décision d’un juge pour enfants français, des solutions seront apportées dans leur intérêt et le respect de leurs droits. Dans ce cadre, les juges pour enfant décideront de toute mesure adéquate à la situation des mineurs concernés. »

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