Habré : l’impunité, jusqu’à quand ?
Hissein Habré doit-il être jugé un jour, et par qui ? Invités par Abdoulaye Wade à se pencher sur cette délicate question et à statuer sur la demande d’extradition formulée par la justice belge, les chefs d’État ont choisi de botter en touche. Le sort de l’ancien dictateur tchadien, renversé en 1990 et qui vit depuis en exil au Sénégal, est maintenant entre les mains d’un comité ad hoc « d’éminents juristes africains ». Ce comité, dont les contours n’ont pas été précisés, devrait être désigné dans les toutes prochaines semaines par Denis Sassou Nguesso, le président de l’UA, en concertation avec Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission. Ses recommandations et propositions seront soumises aux chefs d’État lors du sommet de Banjul, en juin prochain. Mais il y a fort à craindre que l’affaire Habré ne débouche jamais sur un procès.
La résolution finale ne ferme pourtant pas complètement la porte à une extradition vers la Belgique. Pour Reed Brody, membre de l’ONG américaine Human Rights Watch, et coordinateur de la campagne internationale de soutien aux victimes de Habré, qui avait fait le voyage de Khartoum en compagnie de deux représentants des victimes tchadiennes, il reste une petite lueur d’espoir. « La résolution finale invite à privilégier « un mécanisme africain de juridiction ». Elle affirme en même temps les principes « du rejet total de l’impunité », de « l’indépendance de la justice », et suggère de tenir compte des « impératifs d’efficacité, en termes de coûts et de temps ». La création d’un tribunal spécial ferait repartir la procédure de zéro et engendrerait des millions de dollars de dépenses. Or, malheureusement, jusqu’à preuve du contraire, ni l’UA ni aucun État africain n’a pour l’heure les moyens de se lancer dans une telle entreprise. Il n’y a pas d’autre solution que la Belgique. Et les victimes se sont tournées vers cette nation parce que la justice sénégalaise s’était déclarée incompétente ! »
Mais politiquement, une extradition de Habré, option qui avait les faveurs du Rwanda, du Tchad et de la Libye, est hautement improbable. Wade y est catégoriquement opposé. Il l’a dit et répété à sa sortie du huis clos : il ne laissera pas juger Habré ailleurs qu’en Afrique. Une mise au point qui résonne comme un avertissement à l’endroit des « éminents juristes » appelés à statuer sur le cas de l’ex-chef de l’État tchadien. Me El Hadj Diouf, son défenseur sénégalais, lui aussi présent à Khartoum, ne s’y est pas trompé. Après s’être précipité pour saluer et remercier « son » président, il a improvisé, hilare, une « conférence de presse ». « Le dossier est vide ! Mon client est un grand patriote, un grand Africain, victime d’une manipulation orchestrée par des ONG étrangères. Et la Belgique, qui a tué Patrice Lumumba, n’a pas de leçons à nous donner. En tant qu’ancien chef d’État, son impunité est reconnue par la justice sénégalaise. Chez nous, l’hospitalité se donne, et elle ne se reprend pas. »
C’est donc cette drôle de conception de la justice, opposant une fumeuse souveraineté panafricaine et les lois de l’hospitalité à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité qui a peut-être triomphé, ce 24 janvier 2006, à Khartoum
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