Comment résorber le bandistisme ?

Rapts, vols à main armée mais aussi délinquance en col blanc. La criminalité prend des proportions alarmantes.

Publié le 1 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Le 20 novembre 2005, six jours avant d’être évacué sur l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, le président Abdelaziz Bouteflika s’était inquiété de la montée en puissance de la délinquance et du grand banditisme. Il avait exprimé ses craintes en la matière à l’occasion du discours inaugural de l’année judiciaire. Deux mois plus tard, le 20 janvier 2006, le Conseil de gouvernement réuni sous la direction d’Ahmed Ouyahia a adopté un projet de loi visant à amender l’ordonnance portant code pénal. La nouvelle mouture a été préparée par le garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, un ministre ayant le vent en poupe. Il a fait partie de la poignée de membres du gouvernement ayant eu l’insigne honneur d’accueillir le président à son retour de convalescence, à l’issue de cinq semaines d’angoisse et de rumeurs. Belaïz semble bien placé pour prendre la succession du directeur de cabinet du chef de l’État, Larbi Belkheir, nommé ambassadeur à Rabat. C’est dire la confiance dont il jouit auprès d’Abdelaziz Bouteflika.
Le texte qu’il a soumis, en première lecture, à ses pairs du Conseil de gouvernement se caractérise par l’introduction de nouvelles mesures visant à renforcer les procédures de lutte contre la hausse de la petite et de la grande délinquance. Le phénomène est devenu une sérieuse préoccupation pour l’homme de la rue, en même temps qu’une menace pour une économie émergente. Pour la seule année 2005, les investigations de la brigade économique et financière de la police judiciaire ont mis au jour des détournements et élucidé des affaires de braquage de banques et d’agences postales pour un montant total de 35 milliards de dinars, soit près de 500 millions de dollars, soit encore l’équivalent du budget d’un pays voisin comme le Mali.
Ce n’est pas encore le Bronx de New York, mais la situation est suffisamment inquiétante pour que Brinks International, société de sécurité pour les convois de fonds, ouvre une antenne algérienne avec des promesses de création de centaines d’emplois. C’est dire l’urgence.
La montée de la criminalité s’explique par la convergence de plusieurs facteurs (voir J.A.I. n° 2341), dont la décennie de violence islamiste et ses effets dévastateurs sur le tissu social et sur la structure sociologique des agglomérations urbaines. La Concorde civile, démarche politique initiée par Bouteflika le 13 janvier 2000, a certes contribué à dépeupler les maquis, mais aucune statistique sérieuse ne renseigne sur le nombre d’armes légères encore en circulation.
Entre 2000 et 2005, le nombre de vols à main armée a augmenté de 10 %. De nouvelles formes de criminalité ont fait leur apparition, tel l’enlèvement suivi de demande de rançon. Il est vrai que ce phénomène est circonscrit aux zones à forte implantation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui verse de plus en plus dans les actes de banditisme pour grossir sa ghanima, son butin de guerre halal.
La masse monétaire qui circule sur le marché informel (près du tiers de l’activité économique, selon certaines estimations) attise les convoitises. Des transactions au montant faramineux se font chaque jour en dehors de tout cadre bancaire, tandis que des millions de dollars s’échangent quotidiennement dans des sacs en plastique. Cela aiguise forcément certains appétits et, en Algérie, on a tué pour beaucoup moins que cela.
Autre forme de délinquance : la fausse monnaie. Ce phénomène injustement attribué à la seule immigration clandestine, notamment subsaharienne, s’est accru avec la « démocratisation » des nouvelles technologies de l’information. Du bon papier, un scanner performant, une imprimante sophistiquée, et le tour est joué. Des millions de faux dinars ont été récupérés en 2005, et les faux-monnayeurs ne s’intéressent pas uniquement à la monnaie locale, puisque de faux euros et des billets de francs CFA contrefaits circulent aux frontières méridionales du pays.
Par ailleurs, l’économie algérienne souffre de la multiplication de banqueroutes frauduleuses. On crée une entreprise dans une zone prioritaire pour bénéficier de crédits, de subventions et de franchises fiscales. On opère en toute légalité durant trois exercices, puis l’on se déclare en faillite pour effacer la totalité de l’ardoise. Quelques mois plus tard, le même promoteur lance ailleurs une entreprise identique, bénéficie des mêmes avantages pour récidiver avec une nouvelle banqueroute. Selon la nouvelle législation, ce type de comportement est non plus délictuel, mais criminel. Tout comme le chèque sans provisions, « sport national » en Algérie. La réforme du secteur financier introduit la notion d’interdiction bancaire pour les individus indélicats.
Durcir la législation, rendre plus efficaces les procédures judiciaires applicables suffira-t-il à endiguer le problème de la criminalité ? Rien n’est moins sûr. « Des pays développés font face à des problèmes similaires, selon un enseignant de la faculté de droit de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Aucun ne peut se targuer d’avoir maîtrisé le phénomène de la délinquance et celui du grand banditisme. Une adaptation des textes juridiques à la pratique quotidienne est une nécessité, mais ce travail n’aura aucun effet si des mesures ne sont pas prises sur le plan social et économique. La seule répression n’est pas suffisante. Encore faut-il d’ailleurs avoir les moyens de cette répression. Les prisons sont surchargées. Il s’agit en réalité d’un vaste problème de société : notre modèle de développement laisse sur le carreau des catégories entières de population. Il faut imaginer un système de prise en charge concrète. »
Selon des chiffres communiqués par le gouvernement, la déperdition scolaire fait des ravages : un élève algérien sur trois n’achève pas son cursus scolaire, un lycéen sur deux ne parvient pas à la classe de terminale. Cette masse considérable de jeunes désuvrés grossit les villes, côtoie, sans pouvoir en bénéficier, un luxe introduit par le développement économique, et demeure soumise à toutes sortes de tentations.
La première réponse du gouvernement est d’agiter le bâton de la répression. Il convient maintenant d’utiliser la carotte : financer les projets de PME présentés par des chômeurs, créer des emplois en milieu urbain, encourager les ruraux poussés dans les villes par le terrorisme à retourner dans leurs champs, mais surtout lutter contre l’appât du gain facile. Sans doute le chantier le plus délicat en Algérie.

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