Ce que je propose pour Israël
Avant que d’ajouter mes propres supputations à toutes les interrogations qui ont suivi l’accident cérébral d’Ariel Sharon, il me semble urgent et nécessaire de définir ce que pourrait – et devrait – être l’axe d’une nouvelle stratégie du gouvernement israélien.
En Israël, on s’est claquemuré dans une dialectique qui ne mène nulle part : chacun reste enfermé dans la définition de l’autre qu’il s’est donnée. Sharon lui-même, en dépit des évacuations qu’il avait ordonnées, n’était sans doute pas réellement décidé à « aller à la négociation » avec les Palestiniens. Il voulait vraisemblablement marquer une pause après Gaza, sans plus rien lâcher jusqu’aux prochaines élections. C’est ce que Dov Weisglass, son plus proche collaborateur, avait appelé son intention de « chloroformer le processus de paix ».
Aujourd’hui, grâce à Sharon, Ehoud Olmert est débarrassé de la prépondérance de la droite et du mythe du Grand Israël. C’est de cela que l’ancien Premier ministre sera crédité par l’Histoire. Il est le seul qui a élaboré une réponse claire à cette question : « Que peuvent faire les Israéliens des Palestiniens ? » Il y a répondu à sa manière : « Les contrôler totalement, ce qui peut permettre, ensuite, de leur octroyer leur autonomie. »
Le moment est donc venu non seulement de poursuivre les opérations engagées, mais de se poser le problème en des termes différents. Il va de soi, en effet, que la seule façon d’éradiquer le terrorisme est de faire en sorte que ce soient les Palestiniens eux-mêmes qui en manifestent le refus. Les autres mesures de sécurité, elles, sont forcément aléatoires. Comment peut-on sortir de l’impasse actuelle ?
Il y a deux populations qui vivent sur un territoire en fin de compte très étroit. Chacune d’elles souffre de l’image qui est la sienne, sachant que c’est cette représentation – « On ne peut pas faire confiance aux Arabes », « Les Juifs sont des colonisateurs forcenés », etc. – qui dicte à l’autre son attitude d’exclusion. Mais, symétriquement, il y a aussi, dans chacune de ces populations, une envie de l’autre, et l’acceptation de l’apport fait par l’autre. Ainsi les Palestiniens comprennent-ils mieux la démocratie du fait qu’ils se trouvent dans un environnement israélien : on le constate quand on analyse la place que tiennent désormais les élections chez eux et la manière dont ils respectent l’expression de la volonté populaire, y compris au Hamas. D’un autre côté, les Israéliens comprennent mieux leur région grâce aux Palestiniens qui les ont aidés à renforcer leur rapport à cet environnement.
Donc, quand on va au-delà des slogans, on s’aperçoit que le seul vrai reproche fait à l’autre est d’exister en étant installé là où il l’est D’où le caractère proprement insoluble des problèmes politiques découlant de ce double refus, qui peut aller – comme au Likoud et sans doute encore au Hamas – jusqu’à la volonté explicite de chasser l’autre ou de le jeter à la mer.
Plutôt que de multiplier les « feuilles de route » et de s’épuiser en vain à négocier « l’inégociable », ne pourrait-on pas, dès maintenant, commencer par faire l’inventaire de tous les éléments d’infrastructure qui pourraient être communs aux deux populations et aux deux pays ? Par exemple, tout ce qui pourrait faire profiter les uns et les autres d’une organisation commune : des infrastructures techniques (dans le domaine de l’eau, de l’énergie, des équipements routiers, des transports, etc.), des services publics (la poste et les télécommunications, les douanes, l’université, certains services de police, notamment en ce qui concerne la lutte antidrogue et le grand banditisme, etc.), voire, dans un deuxième temps, la surveillance des frontières extérieures de l’ensemble israélo-palestinien. Tout cela allégerait le poids sentimental des solutions qui devront être apportées aux autres problèmes. Les impératifs concrets aident à choisir ce que dicte le bon sens : la partie du pays où les Israéliens sont en majorité est israélienne, l’autre est palestinienne. On finira bien par régler la question des implantations, si elle est seulement résiduelle.
De cette manière, en plus de leurs caractéristiques propres, les deux États – car c’est évidemment de cela qu’il s’agit, et non pas d’un seul – auraient certains outils de leur développement en commun. Et il sera bien temps alors de chercher à trouver le terme qui qualifiera ce nouvel ensemble Peut-être une confédération ?
Pourquoi ne pas profiter de cette période où les portes sont entrouvertes pour avancer dans cette direction ? Il va de soi que tout ne se fera pas en un jour. Qu’il faut commencer par une réflexion commune, puis ouvrir un processus de négociation continue sous couvert international. Après tout, ayons confiance en nous, les uns comme les autres : ce sont la France et la Grande-Bretagne qui ont jadis engagé le Proche-Orient, par leur système colonial, dans un cul-de-sac dont nous n’avons pas encore réussi à sortir
Mais toute formule qui consisterait à vouloir progresser en prônant la doctrine de la séparation est fausse. Notamment, il est clair que les Israéliens ne seront jamais « de là-bas » en s’enfermant chez eux !
Par ailleurs, « le retour des juifs sur la terre ancestrale » est un phénomène qui n’a pas été spécifiquement pris en compte ni correctement analysé. Les juifs, grâce à Israël, veulent redevenir hébreux. Leur nationalité israélienne est laïque, puisqu’elle est ouverte, sans distinction d’origine religieuse. D’une certaine manière, ils ont cessé d’être les juifs de la dispersion, porteurs de toutes ces catastrophes qui se sont accumulées sur leur tête au long de leur histoire, pour devenir, sur la terre ancestrale, les citoyens d’un État laïc, créé par des juifs, où ceux-ci sont majoritaires. C’est ce qui rend encore plus absurdes certains amalgames : comme lorsqu’on confond Shoah et Intifada
La confusion règne. Or ce qui est en cause chez celui qu’on qualifie trop volontiers d’antisémite ce n’est généralement pas la haine du juif en tant que tel, mais une manière d’exhumer des mots anciens – qui ont servi aux antisémites – pour nourrir un antagonisme avec la plus grande force d’impact possible. On n’est heureusement plus dans l’espace de l’éradication, mais dans celui du conflit – tel qu’il est propagé en permanence par les télévisions -, avec utilisation de mots anciens, terribles mais convenus, par des imbéciles et des incultes.
Ce qu’il nous faut affronter et réduire ce n’est donc pas l’antisémitisme, mais le communautarisme et la solidarité identitaire qui créent dans chaque camp des comportements d’exclusion. En lançant des mots qui n’ont pas lieu d’être, les juifs posent leur propre piège, ce dont ils peuvent s’attendre à payer le prix ! Ces fausses dénonciations n’ont d’autre effet que celui de les mettre eux-mêmes dans des situations terribles. Ou de provoquer des résultats aberrants : quand on pense que le philosophe français Edgar Morin a été accusé d’être antisémite devant les tribunaux, alors que c’est précisément le juif qui parle en lui qui lui avait fait tenir un discours d’indignation par rapport aux brutalités dont les Palestiniens sont victimes ! Ceux qui sont considérés par certains comme les plus radicaux parmi les antijuifs sont parfois eux-mêmes des juifs. Dans un tel contexte, les surenchères du gouvernement français, qui veut trop bien faire à l’occasion du moindre incident, ont souvent des effets pervers : c’est une fausse aide qui est accordée à la communauté juive quand on lance sur l’autre, à tout propos, l’anathème de l’antisémitisme.
Sharon, qui est d’ailleurs revenu sur les accusations d’antisémitisme qu’il avait proférées à Paris, m’a beaucoup fait rire quand il a invité en ces termes les juifs français à émigrer en Israël : « Vous avez 10 % d’Arabes chez vous. C’est intolérable. Venez vite chez nous : vous en aurez 20 % ! »
Bref, ici comme là-bas, il existe un intérêt partagé à faire le constat que cette commune présence, tellement problématique, des Palestiniens et des Israéliens est aussi la preuve d’une communauté de destins : les Arabes savent que ce qu’ils ont subi du fait du colonialisme, les juifs l’ont subi avec l’antisémitisme.
* Avocat aux barreaux de Paris et d’Israël, Théo Klein a été président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de 1983 à 1989.
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