Bamako, capitale altermondialiste

Le pays a accueilli le VIe Forum social mondial s’est tenu du 19 au 23 janvier. Une première en Afrique, en attendant l’édition 2007 à Nairobi.

Publié le 31 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Ils sont venus de tous les continents ; ils sont tous là, avec leurs accents qui chantent, leurs couleurs, leurs looks si différents Plus de 15 000 personnes, peut-être 20 000, difficile d’évaluer exactement l’ampleur de cette masse « arc-en-ciel ». Cinquante ans après la célèbre conférence de Bandoeng, le Forum social de Bamako est venu rappeler la nécessité de s’organiser contre un nouvel impérialisme, celui de la mondialisation.
Après l’immense espoir à Bandoeng derrière des leaders charismatiques comme Nkrumah, Tito, Nehru, Nasser, Suharto, Bourguiba et Modibo Keita et après le constat d’échec des politiques de développement qui ont mené les pays du Sud au bord du gouffre, le rassemblement de Bamako a tenu à affirmer que les forums sociaux constituent une réponse essentielle au libéralisme le plus sauvage.
« Un autre monde est possible », leitmotiv du forum, dit assez cette volonté et cet espoir de proposer, à des milliards d’individus, une autre façon de vivre, de se nourrir, de penser, de respecter l’environnement comme les différences culturelles, et de reconnaître aux peuples le droit de penser et de décider pour eux-mêmes.
Plus de 70 nations étaient représentées dans la capitale malienne, où les habitants ont fait preuve d’un engouement exceptionnel pour l’événement. Plusieurs milliers de « Maliens de l’intérieur » ont aussi fait le déplacement : paysans, artisans, pêcheurs, ouvriers, des gens simples mais mobilisés, qui commencent à comprendre les dangers d’une mondialisation destructrice. On a pu ainsi dénombrer plus de 350 associations locales. Les médias ont aussi montré leur capacité à répondre présent.
Si Bamako est devenu pendant une semaine la capitale de l’altermondialisme, ce n’est pas par hasard. Il y a environ trois ans, à Porto Alegre (Brésil), les participants avaient décidé de changer de lieu pour aller à la rencontre des peuples des différents continents. Après le Forum de Bombay (Inde) en 2005, l’Afrique s’est vu confier celui de 2007, que Nairobi (Kenya) va accueillir. Pour 2006, le choix d’éclater le Forum « polycentrique » en trois lieux distincts (Venezuela, Pakistan, Mali) a permis de rendre accessibles à un plus grand nombre ces rencontres et de donner plus d’écho au mouvement. Le choix de Bamako est une forme de reconnaissance du rôle joué par le Mali, qui s’est depuis longtemps illustré pour son esprit d’indépendance. En effet, dès octobre 1946 s’est tenu à Bamako le premier congrès du Rassemblement démocratique africain (RDA), au cours duquel Houphouët-Boigny proposa à la France un partenariat qui n’eut pas l’accueil escompté de la part de la puissance coloniale. Des années plus tard, Modibo Keita, qui devint un opposant notoire à l’ordre républicain tricolore, n’hésita pas à quitter la zone franc pour créer sa propre monnaie. Enfin, plus récemment, en mars 1991, l’actuel président Amadou Toumani Touré, alors officier, décide de mettre fin à un régime militaire dictatorial pour remettre, après des élections démocratiques, le pouvoir aux civils. Il faut rappeler, enfin, que le Forum social africain est né à Bamako, en janvier 2002.
L’espoir de voir s’ouvrir un débat constructif sur la globalisation entre gouvernants et société civile s’est donc concrétisé à Bamako où, pour la première fois, un gouvernement non seulement accueille avec bienveillance des acteurs sociaux critiques, mais les aide en mettant à leur disposition des infrastructures, des moyens dans le domaine de la sécurité, de la santé, et même finance à hauteur de 150 millions de F CFA la manifestation.
À Bamako, on a pu voir la ministre brésilienne de la Promotion, de l’Égalité entre les races, la ministre des Affaires sociales de Catalogne, le président de l’Assemblée nationale de Cuba ou Danielle Mitterrand côtoyer José Bové, Aminata Traoré ou Taoufik Ben Abdallah d’Enda Tiers-Monde. Plusieurs parlementaires européens avaient fait également le déplacement, croisant des artistes engagés comme l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly ou le rappeur sénégalais Awadi.
Un cosmopolitisme déroutant pour le non-initié qui viendrait chercher là des réponses à des problèmes précis. Le Forum, c’est une espèce de cogitation globale, des rencontres intuitives, c’est un bouillonnement d’idées, une fabrique à questions et à témoignages. C’est surtout un fabuleux creuset où se trament en sourdine, où s’élaborent discrètement des alternatives au libéralisme débridé. Ici, pas de déclarations fracassantes, pas de décisions tonitruantes. Bref, on est bien loin des rencontres internationales qui prétendent lutter contre la pauvreté à grand renfort de publicité.

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