Nigeria : la spirale meurtrière entre éleveurs et agriculteurs menace la présidentielle de 2019
Le conflit entre agriculteurs et éleveurs dans le centre du Nigeria a fait six fois plus de morts que Boko Haram depuis le début de l’année. Il pourrait affecter la présidentielle prévue en 2019.
Plus de 1 300 morts depuis janvier 2018. Quelque 300 000 déplacés. Un bilan meurtrier six fois supérieur à celui des terroristes islamistes de Boko Haram au Nigeria au premier semestre de cette année. Dans un rapport publié jeudi 26 juillet, International Crisis Group (ICG) ne s’y trompe pas : le conflit agro-pastoral menace de « déstabiliser le pays ».
La compétition pour l’accès à la terre et aux ressources, aggravée par l’explosion démographique, est devenue « la menace sécuritaire la plus sérieuse », estime ICG. Depuis septembre 2017, au moins 1 500 personnes ont été tuées dans les violences entre agriculteurs, majoritairement chrétiens, et éleveurs, principalement nomades et musulmans.
Un « pari gagnant-gagnant » perdu
La guerre pour l’accès aux ressources a été aggravée fin 2017 par l’adoption d’une loi interdisant la transhumance et le pâturage libre, visant à favoriser l’agriculture et à promouvoir la construction de fermes d’élevage clôturées. « Cette loi va apporter la paix, c’est gagnant-gagnant pour les agriculteurs et pour les éleveurs », expliquait à l’AFP le gouverneur de Benue, Samuel Ortom, à l’origine de la loi.
Mais depuis son entrée en vigueur au mois de novembre, la mesure est au centre d’un bras de fer entre les autorités et les syndicats d’éleveurs qui continuent de revendiquer une vie nomade et exigent son retrait. Le conflit « engendre un bilan toujours plus meurtrier et, avec les élections qui se profilent en 2019, pourrait déstabiliser le pays si le gouvernement et les autres acteurs échouent à le contenir », note ICG.
De nombreuses communautés rurales des États du centre du pays ont entrepris de se défendre elles-mêmes, ce qui a engendré un cycle sans fin de représailles. Le conflit aurait en outre fait, selon l’organisation, plus de 300 000 déplacés. Ces déplacements de masse ont affecté, entre autres, la production agricole et pourrait faire flamber les prix des denrées alimentaires, de nombreux agriculteurs ne voulant ou ne pouvant plus travailler leurs terres à cause de l’insécurité.
Un conflit foncier qui vire à l’affrontement interreligieux
Leur but est de frapper les chrétiens
Le conflit, essentiellement foncier, menace en outre de virer à l’affrontement interreligieux. Plusieurs évêques des États de Benue et de Nassarawa ont ainsi dénoncé un « programme clair d’islamisation de la ceinture centrale nigériane ». « Leur but est de frapper les chrétiens », a même déclaré Matthew Ishaya Audu, évêque du diocèse de Lafia, ajoutant que « le gouvernement ne fait rien pour les arrêter, parce que le président Buhari est lui-même membre de la tribu peul ».
« Il n’est plus possible de considérer comme une simple coïncidence le fait que les responsables de ces crimes odieux soient de la même religion que ceux qui contrôlent les services de sécurité, président compris », ont ajouté les évêques dans une déclaration publique début juillet. Fin juin, Muhammadu Buhari a quant à lui suggéré que ces violences étaient encouragés par « des opposants désespérés », en vue de la présidentielle de 2019.
« L’opposition a commencé à exploiter les critiques à l’encontre de Buhari », détaille ICG. « Les violences risquent d’affaiblir le président et son parti pour les élections de 2019 », ajoute l’organisation. « Cependant, la gestion de Buhari dans ce conflit a renforcé l’adhésion de la communauté fulani [peul, NDLR] à sa personne », poursuit l’organisation. Qui conclut : « Ces positions radicalement opposées sur la présidence de Buhari pourrait nourrir les tensions interpartis, interrégionales et interconfessionnelles lors des élections de 2019 ».
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