Après le séisme

Faut-il s’alarmer de l’arrivée au pouvoir du Hamas ? Ou considérer au contraire qu’elle pourrait accélérer le processus de paix ?

Publié le 31 janvier 2006 Lecture : 8 minutes.

Bouleversement, séisme, tsunami politique. Les manchettes de la presse internationale rivalisent de superlatifs pour qualifier le raz-de-marée électoral du Hamas aux législatives du 25 janvier. Le triomphe des islamistes change la donne. L’ampleur de leur victoire (76 députés sur 132) aura un impact national, régional et international. Avec 43 sièges seulement, le Fatah, créé au début des années 1960 par Yasser Arafat, a subi une lourde défaite. Vote sanction ou adhésion massive aux thèses islamistes ? La question n’est presque plus d’actualité tant l’essentiel semble être ailleurs. Quel avenir pour le processus de paix ? Quel rôle pour Mahmoud Abbas, contraint à une délicate cohabitation ? Comment le Fatah vivra-t-il son nouveau statut de parti d’opposition ? Quelle sera l’attitude de la communauté internationale ? Qui sont les perdants et les gagnants de la nouvelle donne ? Quel impact sur le monde arabe et sur les différents courants islamistes ? Que fera le Hamas de sa victoire ? Confronté à la réalité du pouvoir et à la gestion des affaires publiques, saura-t-il faire preuve de pragmatisme afin de devenir un partenaire crédible pour Israël et les parrains de la « Feuille de route » ? Et renoncer, pour ce faire, à l’un de ses objectifs : la destruction d’Israël ?

Le Hamas peut-il changer ?
Rien ne l’indique pour le moment. Surtout après les premières déclarations des leaders du mouvement au soir de la victoire. À l’intransigeance israélienne – « nous refusons de négocier avec des terroristes » – répond celle du Hamas – « pas de dialogue tant qu’Israël n’aura pas évacué les territoires palestiniens ». Reste à savoir quelles sont, aux yeux du prochain gouvernement islamiste, les frontières du futur État et le statut des Brigades Ezzedine al-Qassem ? Que deviendront les armes de la résistance, qu’elle soit islamiste ou nationaliste ? Si toutes les listes engagées dans le scrutin du 25 janvier avaient un dénominateur commun – la revendication d’un État palestinien sur les frontières du 5 juin 1967, avec pour capitale Jérusalem et le retour des réfugiés de 1948 -, leurs approches respectives du processus de paix sont totalement différentes. Le Hamas ne s’estime engagé ni par les accords d’Oslo, ni par la « Feuille de route ». L’exercice du pouvoir et la nécessité de trouver des solutions aux problèmes quotidiens de la population devraient cependant l’amener à tempérer son discours. Il ne s’agit pas d’un simple réaménagement idéologique, mais d’un changement stratégique que seule une direction forte et crédible peut faire accepter à la base militante. Or c’est là que le bât blesse : le Hamas manque cruellement d’un véritable patron.

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Qui dirige le Hamas ?
Créé par Cheikh Ahmed Yassine en 1987 dans la foulée de la première Intifada, le Hamas (acronyme de Mouvement de la résistance islamique) était initialement la branche palestinienne de l’association des Frères musulmans, une organisation égyptienne fondée en 1929 par Hassan el-Banna, et qui, depuis, rayonne sur le monde arabo-musulman. La montée en puissance de sa branche armée a valu au Hamas une implacable traque de ses dirigeants par Tsahal. Les principaux leaders du parti ont été victimes d’« assassinats ciblés », dont Cheikh Yassine, en 2004, et son successeur, Abdelaziz Rantissi, quelques mois plus tard. Les autres grandes figures du mouvement sont en exil : Khaled Mechaal à Damas, ou Mahmoud Nezzal à Beyrouth. La direction du Hamas est aujourd’hui collégiale. Elle comprend une douzaine de membres dont la moitié est inconnue du grand public pour des raisons évidentes de sécurité. Elle agit donc dans une semi-clandestinité. Pour l’heure, deux figures de l’intérieur s’imposent : Ismaïl Haniyeh, pressenti pour diriger le prochain gouvernement ou pour siéger au perchoir, et Mahmoud Zahar. Le premier est connu pour avoir été l’interlocuteur de l’Autorité sortante. Quant au second, il est réputé pour son discours plus radical. Cependant, ni l’un ni l’autre ne semble disposer de l’indispensable envergure pour imposer un changement d’attitude à l’égard d’Israël pour donner au processus de paix quelque chance d’aboutir.

La perception de Tel-Aviv et de Washington peut-elle évoluer ?
À voir la mine hébétée du Premier ministre israélien par intérim Ehoud Olmert à l’annonce des résultats, il va sans dire que la classe politique israélienne était loin de se douter d’une telle issue. Même si Israël n’est pas exempt de responsabilité dans la défaite de son partenaire palestinien, évoquer aujourd’hui la possibilité d’un dialogue direct avec le Hamas n’est pas envisageable. D’autant que les partis israéliens ont le regard tourné vers leurs législatives, prévues en mars. Affirmer que le Hamas pourrait être un interlocuteur équivaudrait à un suicide politique pour n’importe lequel d’entre eux. Y compris pour les forces du centre et de gauche, de Kadima au Meretz en passant par les travaillistes. Pourtant, Israéliens et Palestiniens sont condamnés à s’asseoir ensemble autour d’une table.
La Maison Blanche, qui a inscrit le Hamas sur sa liste noire des organisations terroristes et qui a contribué, via l’Usaid, au financement de la campagne du Fatah, a eu une réaction plus mesurée. George W. Bush a d’abord tenu à saluer le bon déroulement du processus démocratique pour ensuite demander au Hamas de renoncer à la destruction d’Israël. Des contacts directs avec le nouveau gouvernement ne sont pas exclus, les Américains pouvant surprendre et faire preuve de pragmatisme. L’Union européenne, quant à elle, menace de mettre un terme à son soutien financier à l’Autorité. Une menace qui risque de ne pas dépasser le stade de la simple gesticulation. Grâce à ses bienfaiteurs arabes ou iraniens, le Hamas a toujours disposé d’autant d’argent que l’Autorité. Ce n’est donc pas un moyen de pression efficace sur les islamistes.
Toutefois, Européens et Américains (composant, avec la Russie et l’ONU, le quartet parrainant la « Feuille de route ») d’une part, et le Hamas, d’autre part, ont tout intérêt à prendre langue dans les meilleurs délais. Paradoxalement, l’arrivée au pouvoir des islamistes radicaux pourrait accélérer le processus de paix. À condition que le Hamas consente à intégrer l’OLP, dont l’ex-président, feu Yasser Arafat, eut le courage, en 1988, à Paris, de qualifier de « caduque » l’article de la charte de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) prônant la destruction de l’État hébreu.

Le Hamas rejoindra-t-il l’OLP ?
Malgré une majorité confortable au Parlement – quelque 60 % -, le Hamas a eu le triomphe modeste. Dans sa première déclaration, à la suite de l’annonce provisoire de la victoire de son mouvement, Ismaïl Haniyeh, tête de liste des islamistes, a tendu la main à toutes les forces politiques palestiniennes. Manuvre pour obtenir le partage de la responsabilité dans la gestion des problèmes quotidiens de la population ou volonté sincère de coopérer ? Il est trop tôt pour répondre. En revanche, l’attitude des « défaits du 25 janvier » est sans équivoque. Aucune force politique présente dans le prochain Conseil législatif n’a répondu favorablement à l’invitation. Premier à réagir : le Fatah. Saeb Erakat, principal négociateur de l’Autorité et l’un des rares rescapés des législatives, a affirmé que « le Fatah ne fera pas partie du prochain gouvernement et jouera son rôle de leader de l’opposition démocratique ». Autre « miraculée », Hanane Achraoui, de la liste Al-Badil (l’alternative), a rejeté l’offre du Hamas, mettant en exergue les différences doctrinales. « Je ne saurais m’associer à un gouvernement dont le projet de société est l’application de la charia. » On le voit, le Hamas suscite aussi la méfiance parmi les Palestiniens.
Le 22 janvier, Marwane Barghouti, icône de la jeunesse palestinienne, qui purge cinq peines de réclusion à perpétuité dans une prison israélienne, tête de liste du Fatah, a été autorisé par l’administration israélienne à intervenir dans la campagne dans une interview à Al Jazira. Loin d’imaginer la Bérézina électorale de son parti, le « Mandela palestinien », comme l’appellent ses partisans, avait proposé au Hamas de rejoindre l’OLP, qui regroupe l’ensemble des mouvements de la résistance palestinienne nés dans les années 1960 et qui demeure, à ce titre, le représentant suprême du peuple palestinien. C’est l’OLP qui a signé les accords d’Oslo de 1993, c’est également elle qui incarnait jusque-là l’Autorité palestinienne. Estimant que sa singularité tient à sa vocation islamique, à l’inverse de l’OLP exclusivement nationaliste, le Hamas a toujours refusé de franchir le pas. Mais la donne a changé. Le Hamas n’est plus uniquement un mouvement de résistance, mais un parti au pouvoir, disposant de la majorité absolue et pouvant gouverner seul. Tiendra-t-il les engagements du peuple palestinien inscrits dans les accords d’Oslo ?

Comment se déroulera la cohabitation ?
Le 26 janvier, Mahmoud Abbas a affirmé qu’il entamerait les consultations pour la formation du prochain gouvernement au lendemain de la proclamation officielle des résultats. Sa première intervention postélectorale a donné un avant-goût de ce que sera la cohabitation. Il a rappelé qu’il avait été élu, en 2005, sur la base d’un programme dans lequel le choix de la solution négociée pour mettre fin à l’occupation ne souffre d’aucune ambiguïté. Il a réaffirmé qu’il n’était pas près d’abandonner ses prérogatives constitutionnelles ni ses domaines réservés : la diplomatie et la sécurité intérieure. Contesté par sa base, qui lui attribue l’entière responsabilité de l’échec électoral, Mahmoud Abbas ferait preuve de légèreté s’il envisageait de quitter le navire en pleine tempête. D’ailleurs, George W. Bush lui a demandé de rester en place pour tenter de contrer la tentation militaire du Hamas.

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Qui perd, qui gagne ?
Le déroulement exemplaire du scrutin et l’alternance démocratique en Palestine ne seront pas sans conséquence sur le monde arabe, peu habitué à ce type d’événement politique. Au moment où ces lignes sont écrites, seuls deux chefs d’État avaient réagi à la victoire du Hamas. Le plus prompt a été Hamed Al Thani, le souverain du Qatar, qui a félicité à la fois Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal. Le premier pour avoir réussi à organiser un scrutin démocratique, et le second pour la brillante victoire de son parti. L’Algérien Abdelaziz Bouteflika s’est contenté d’adresser un message au seul Mahmoud Abbas, soulignant l’importance de l’étape démocratique et saluant l’alternance. Il a également appelé la communauté internationale à respecter le choix du peuple palestinien et lui a demandé de « juger le nouveau gouvernement sur pièces ». Outre les partis islamistes arabes, deux pays devraient tirer profit de la victoire du Hamas : l’Iran et la Syrie. Les relations entre le Hamas et la République islamique ne datent pas d’hier. Un détail illustre leur importance : Khaled Mechaal a été le seul homme politique à avoir soutenu publiquement le président Mahmoud Ahmedinejad après ses propos sur « la nécessaire éradication d’Israël ». Quant à la Syrie, elle devrait toucher les dividendes de son indéfectible soutien au Hamas. Damas a été la seule capitale arabe à accepter d’offrir l’asile aux fugitifs de la direction du mouvement devenus indésirables partout ailleurs.
Le principal perdant est l’Égypte de Moubarak. Parrain traditionnel du dialogue interpalestinien, le gouvernement égyptien se retrouve dans une situation inconfortable. Il y a moins de deux mois, il avait empêché, souvent par la force, les Frères musulmans, dont le Hamas se réclame, de remporter les législatives. Il lui sera donc difficile de continuer à jouer le rôle de modérateur.

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