Un obélisque nommé désir

La colonne enlevée par les Italiens à Axoum quittera Rome début 2005 pour son pays d’origine.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Au mitan de la joliment nommée place de la Concorde, un obélisque égyptien pointe son nez vers le ciel gris de Paris. À Rome, devant le siège de la FAO, ancien ministère italien des Colonies, un obélisque d’Axoum, volé en 1937 à l’Éthiopie par les troupes de Benito
Mussolini, désignait le ciel bleu. On ne l’y verra plus. La bonne nouvelle a été annoncée le 18 novembre par le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi : le fameux monument, qui pèse près de 200 tonnes, devrait retrouver son pays d’origine en janvier ou février 2005, en tout cas « avant la saison des pluies ». À Addis-Abeba, on n’ose pas encore espérer,
tant le processus de restitution de ce joyau du patrimoine éthiopien a suscité de faux espoirs.
Axoum, dans la province septentrionale du Tigré dont est originaire Mélès Zenawi, a été la riche capitale du royaume éponyme qui, devenu chrétien dès le IIIe siècle, a atteint son apogée au Ve siècle. Aujourd’hui, quelques milliers de touristes font escale dans cette ville de 14 000 âmes pour contempler les grandes stèles aksumites qui marquent, selon la plupart des archéologues, l’emplacement des tombes royales. Si le plus grand monolithe pointait à 35 mètres de haut, celui indûment subtilisé par l’Italie fasciste mesure 24 mètres et accuse 1 700 ans d’âge. Lorsqu’il fut volé, il était le seul à tenir encore debout.
Dès 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Rome s’était engagé à restituer l’obélisque. L’article 37 du traité de paix entre l’Italie et les Nations unies stipule en effet que « dans un délai de dix-huit mois à partir de l’entrée en vigueur du présent traité, l’Italie rendra toutes les oeuvres d’art, tous les objets religieux, toutes les archives et tous les objets ayant une valeur historique appartenant à l’Éthiopie ou à ses citoyens et ayant été emportés vers l’Italie depuis le 3 octobre 1935 ». La promesse est restée lettre morte malgré les demandes répétées d’Addis-Abeba. Tout comme l’accord bilatéral de mars 1997…
Orgueil mal placé ? Souvenir d’un épisode historique humiliant ? L’Italie n’a guère fait preuve de bonne volonté. Pour l’ancien sous-secrétaire d’État aux Biens culturels Vittorio Sgarbi, l’obélisque de la discorde était « un citoyen italien naturalisé » et les Éthiopiens devaient « mesurer leur chance d’avoir une vitrine dans la Ville éternelle ». Des propos déplacés qui ont poussé les responsables éthiopiens à demander la médiation de l’Unesco pour amener le pays de Silvio Berlusconi à respecter ses engagements. Mais le conflit avec l’Érythrée (1998-2000) a servi plusieurs fois de prétexte pour repousser la restitution…
Jalouse de son trésor de guerre, l’Italie n’a pourtant pas cru bon de le protéger contre la foudre en installant à son sommet un simple paratonnerre. Résultat : dans la nuit du 27 au 28 mai 2002, un éclair s’est abattu sur la stèle et l’a gravement endommagée. Un épisode de trop dans cette longue dispute. Sous la pression internationale, l’obélisque a été démonté. Découpé en trois tronçons, entreposé dans un commissariat romain, il attend désormais l’avion qui le ramènera au pays. L’historien Richard Pankhurst se réjouit : « Si la restitution a enfin lieu, cela me fera vraiment plaisir. Mais il faudrait aussi que l’Italie rende l’avion Tsehai – nommé d’après le prénom de la fille de l’empereur Haïlé Sélassié – construit en Éthiopie en 1935 et qui pourrait décorer le nouvel aéroport d’Addis-Abeba plutôt que de rester au musée italien de l’Aviation. En outre, l’Italie devrait restituer les archives du ministère éthiopien de la Plume, toujours conservées à Rome et qui appartiennent au patrimoine historique du pays. »
Tsehaye, employé de banque à Awassa, dans le sud de l’Éthiopie, s’interroge : « L’obélisque est un merveilleux outil touristique pour développer la zone du Nord-Ouest éthiopien, si les autorités régionales et fédérales font le nécessaire. Pour le reste, je ne vois pas encore l’impact que cela pourrait avoir dans le cadre de la restitution des trésors pillés par les anciennes puissances coloniales… » Une telle restitution pourrait en effet créer un précédent gênant pour bien des pays occidentaux : le Royaume-Uni ne conserve-t-il pas à Londres les frises du Parthénon ?

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