Safire, notre homme à Washington

Agent d’influence de la droite israélienne et grand ami d’Ariel Sharon, l’éditorialiste vedette du « New York Times » prend sa retraite.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Editorialiste au New York Times depuis la nuit des temps, William Safire est l’inventeur du « reportage d’opinion », curieux genre journalistique qui consiste à dire n’importe quoi dès lors qu’il s’agit de servir la Cause : celle de la droite israélienne. Ce n’est certes pas qu’il soit mal informé : l’essentiel de ses infos émane des services de renseignements israéliens et américains, des cercles néo-conservateurs et, surtout, de son grand ami Ariel Sharon, dont il est presque le porte-parole officieux à Washington.
Quand il ne joue pas les agents d’influence, c’est un excellent journaliste qui, en 1978, se vit décerner le prix Pulitzer pour un reportage – il est vrai ultérieurement contesté – sur les facéties budgétaires de l’administration Carter. L’ennui est qu’il a fâcheusement tendance à mêler informations authentiques et affabulations barbouzardes, souvent assorties de commentaires injurieux pour ses adversaires. Et ça marche ! Safire est sans doute le journaliste américain le plus lu, à défaut d’être le plus respecté. Même ses détracteurs ne manqueraient ses éditos pour rien au monde. Aux dernières nouvelles, il milite pour l’adoption d’un 28e amendement à la Constitution, pour permettre aux citoyens américains naturalisés de briguer la magistrature suprême. À l’évidence, il s’agit de placer Arnold Schwarzenegger sur orbite présidentielle pour 2008. Élu récemment gouverneur de Californie, le Terminator body-buildé est en effet natif de Graz, en Autriche.
Après trente et un ans de bons et loyaux services, Safire, 75 ans le mois prochain, s’est résolu à « raccrocher la hachette », comme il dit. Il publiera son dernier brûlot dans le New York Times du 24 janvier, mais poursuit sa collaboration au magazine dominical, où il tient la rubrique « On language ». Le 15 novembre, Arthur Sulzberger Jr, l’éditeur du quotidien, a rendu un vibrant hommage à ses analyses « provocantes et pénétrantes ». Il est, paraît-il, « impossible d’imaginer le Times sans Bill Safire ».
En 1973, l’arrivée de ce « conservateur libertaire » avait pourtant suscité un vent de fronde chez ses collègues. On peut le comprendre : quelques années auparavant, à l’époque où il écrivait les discours de Richard Nixon et du vice-président Spiro Agnew, il avait mis dans la bouche de ce dernier ce jugement sans doute un peu abrupt à propos des journalistes : « jacassants nababs du négativisme ».
Après avoir soutenu Ronald Reagan et George H. Bush, Safire finit par rompre avec ce dernier et, lors de la présidentielle de 1992, vote pour le démocrate Bill Clinton. On ne peut exclure que les accointances arabo-pétrolières du clan Bush l’aient conduit à ce revirement. Les choses ne tardent toutefois pas à rentrer dans l’ordre. En 1996, il qualifie la First Lady de « menteuse congénitale ». Furieux, le mari d’Hillary songe un instant à lui mettre son « poing sur le nez ».
George W. à peine élu, Safire s’emploie à mettre la pression sur la nouvelle administration. Pourtant peu suspecte de sympathies palestiniennes, celle-ci envisage timidement de rééquilibrer sa politique proche-orientale. « Allié défaillant », tranche le zélote de Washington. Ça s’arrangera par la suite… Colombe égarée dans un nid de faucons, Colin Powell n’est pas épargné : « Notre secrétaire d’État paraît s’être assigné pour mission d’empêcher Israël de triompher de la campagne de terreur lancée contre lui. » Sèche réplique de l’intéressé : « Safire devient décidément bien arrogant avec l’âge. »
Comme par miracle, il suffit que les intérêts de l’État hébreu ne soient pas en jeu pour que le columnist retrouve son discernement. Après les attentats du 11 septembre 2001, par exemple, il n’hésite pas à dénoncer violemment (« pouvoir dictatorial ») le traitement infligé aux prisonniers de Guantánamo.
La suite ne sera qu’une litanie de mensonges éhontés, de tentatives d’intimidation et de coups d’intox. Les armes de destruction massive irakiennes ? Elles existent, bien sûr, il suffit d’un peu de patience pour les trouver. Les liens entre al-Qaïda et le régime baasiste ? Qui ne sait que Mohamed Atta, le chef des kamikazes du 11/9, avait ses entrées à Bagdad au temps du raïs ? Le Premier ministre turc Erdogan ? « Le meilleur ami de Saddam. » Chirac ? N’en parlons pas. L’Iran de Khatami et la Syrie d’Assad ? Des États voyous contre lesquels tous les moyens de coercition doivent être déployés. L’ONU ? Une officine propalestinienne. Son secrétaire général ? Un incompétent qui sera bientôt au centre d’un retentissant scandale dont le nom est déjà trouvé : le « Kofigate ».
Vous n’y croyez pas ? Vous avez tort. C’est forcément vrai puisque Sharon le lui a dit.

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