Monde arabe : l’âge du capitaine

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 2 minutes.

Il est d’usage dans les nécrologies de faire un bilan de l’action du défunt. Mais bien souvent, dans la nécrologie d’un dirigeant arabe, le seul point que l’on met en valeur, c’est le nombre d’années où il est resté au pouvoir. C’est comme s’il y avait une compétition pour savoir qui a duré le plus longtemps. Il importe peu que ce dirigeant ait fait ou non le bonheur de son peuple, qu’il ait créé des emplois, que ses compatriotes aient pu vivre dans de bonnes conditions, qu’ils aient eu la liberté et la possibilité de s’exprimer politiquement et artistiquement, ou simplement qu’ils soient optimistes pour l’avenir.
La plupart des dirigeants arabes sont septuagénaires ou octogénaires. Au cours des années qu’ils ont passées au pouvoir, il y a eu des découvertes extraordinaires et le monde a changé : Internet a été inventé, le communisme est mort et de nouveaux pays se sont formés. Et pourtant, le monde politique arabe n’a pas bougé d’un centimètre, et nos dirigeants continuent de faire comme si de rien n’était.

Leur emprise sur les esprits est telle que lorsque nous nous interrogeons sur l’héritage qu’ils ont laissé, au lieu de déplorer qu’ils aient fait barrage à la démocratie, nous regrettons qu’ils n’aient pas désigné un successeur. Non seulement nous avons accepté leur pouvoir sans limite, mais nous voulons aussi qu’ils nous disent qui doit continuer à nous opprimer après leur départ.
Le moment n’est-il pas venu d’accorder plus d’importance au citoyen arabe qu’au dirigeant arabe ? Les dirigeants passent, mais nous ne devons pas être les otages de leur santé ou de leur âge. Paradoxe encourageant pour l’avenir : plus les dirigeants arabes sont vieux, plus leurs concitoyens sont jeunes. La majorité des habitants du monde arabe ont moins de 30 ans. Si cette différence d’âge coupe irrémédiablement les dirigeants de leurs compatriotes, elle signifie aussi que dans quelques années le monde arabe pourra héberger une nouvelle manière d’être et de penser qui n’aurait pas été possible du temps où nos vieux dirigeants s’accrochaient au pouvoir.

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S’ils s’intéressaient vraiment à leurs concitoyens et voulaient qu’on garde d’eux un bon souvenir, il y a longtemps que les dirigeants arabes auraient passé la main et laissé la place à une génération plus jeune. Je ne veux pas parler de leur progéniture. La société civile arabe est pleine d’hommes et de femmes dynamiques et instruits qui ne demandent qu’à servir leur pays.
Au lieu de quoi les présidents de nos républiques se comportent comme des monarques et préparent leurs fils à leur succéder. D’autres organisent des référendums qui gaspillent du temps et de l’argent public pour pouvoir prétendre que près de 100 % de leurs citoyens veulent qu’ils restent au pouvoir, et dans les pays où il n’y a qu’un mandat limité, des parlements godillots changent la Constitution afin de le prolonger indéfiniment.

* Mona Eltahawy collabore de New York au quotidien arabe Asharq al-Awsat publié à Londres.

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