Marcoussis et Accra III ne seront pas appliqués

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Traitant de la crise ivoirienne, je vous ai entretenu la semaine dernière des ambiguïtés qui, à mon avis, ont « plombé » l’évolution de ce pays depuis dix ans. À savoir, l’ivoirité, les relations (mauvaises) entre les dirigeants ivoiriens et ceux de leur
voisin immédiat, le Burkina, et celles, complexes, malsaines, de la Côte d’Ivoire houphouétienne et post-houphouétienne avec son ex-colonisateur : la France.

Poursuivant l’analyse plus avant, je crois nécessaire de vous soumettre aujourd’hui ma perception d’un autre « facteur bloquant », dont je pense qu’il fera obstacle à toute solution fondée sur les accords de Marcoussis, dont on nous dit qu’ils sont la panacée pour sortir de la crise.
Ceux qui cherchent une solution au drame que vit ce pays – les chefs d’État africains et le président français, le secrétaire général de l’ONU et celui de l’Organisation internationale de la Francophonie, les ministres des Affaires étrangères et les diplomates – sont unanimes à dire et à répéter : « Il suffit d’appliquer Marcoussis et Accra III pour que la crise soit résolue. »
Certes. Mais pourquoi les accords de Marcoussis, signés il y a près de deux ans, n’ont-ils pas été appliqués jusqu’ici et comment faire pour qu’ils le soient ?

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Je pense, pour ma part, que ces accords, imposés à l’actuel chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo, ne seront jamais appliqués et que continuer à espérer qu’ils le soient, à conditionner le retour de la Côte d’Ivoire à l’unité et à la paix à leur application est une… perte de temps.

Aussi socialiste et démocrate qu’il soit, ou a été, Laurent Gbagbo n’a accédé au pouvoir en octobre 2000 que par une forme de miracle et à la faveur d’un vote bien étrange organisé par feu… Robert Gueï.
Ce président de transition se croyait très populaire et attendait (bien naïvement) du scrutin qu’il le consacre chef de l’État ; il a exclu de la course tout candidat sérieux autre que lui-même et… Gbagbo.
À sa stupéfaction, Gbagbo l’a battu et éliminé de la présidence en octobre 2000. Le 19 septembre 2002, il a été tué.
Quant aux deux autres principaux prétendants à la magistrature suprême, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ils se sont retrouvés sur la touche. Et, depuis quatre ans, l’on discute pour savoir si Laurent Gbagbo est un président « démocratiquement élu »…
Bien ou mal élu, Gbagbo s’est retrouvé au pouvoir et s’y est retranché depuis quatre ans. Reconnu légitime, même par ses adversaires, il dit et croit que, s’il est président, c’est que « sa stratégie était la bonne ».

Quoi qu’on pense de cet homme politique, il faut lui reconnaître, entre autres qualités, qu’il a… une bonne mémoire : il n’a certainement pas oublié, en tout cas, que lui et sa communauté (les Bétés) ont été maltraités et réprimés par Houphouët. Ni, a fortiori, qu’il a été arrêté et emprisonné le 18 février 1992(*) par Houphouët – et Ouattara, alors Premier ministre.
Alors, pour lui et les siens, dont il est devenu l’incarnation, le pouvoir est une revanche – et une protection.
Il ne conçoit ni n’envisage de le quitter ; il ne se mettra pas en situation de le perdre à l’occasion d’un vote. Songerait-il à le faire, sous la pression de l’extérieur, que son proche entourage le lui interdirait.
Laurent Gbagbo n’est donc pas Abdou Diouf, et il n’est pas raisonnable de croire possible une alternance à la sénégalaise dans la Côte d’Ivoire de 2005 : ceux qui l’espèrent se trompent, à mon avis, et perdent leur temps en palabres inutiles.
Toute recherche de solution devrait commencer par prendre en compte ce fait, qui me paraît, à moi, aveuglant, et qui interdit de penser que Gbagbo se résoudra à appliquer Marcoussis et Accra III dans leur totalité, mettant ainsi en danger son pouvoir.

* Il sera libéré le 31 juillet 1992, plus de cinq mois après.

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