[Tribune] Comment utiliser les marchés financiers pour dynamiser les économies d’Afrique centrale

Pour apporter la « sève financière » dont les économies ont besoin, il convient que les acteurs privés et publics puissent travailler ensemble autour d’actions concrètes. Explications par Amaury de Féligonde (Okan) et Marc Kamgaing (Harvest AM).

Des traders à la Bourse de Lagos, au Nigeria, en juin 2016. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Des traders à la Bourse de Lagos, au Nigeria, en juin 2016. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Amaury
  • Amaury De Féligonde

    Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.

Publié le 3 août 2018 Lecture : 4 minutes.

«Trop de finance tue la finance. » La crise des subprimes de 2008 a semé le chaos sur les Bourses mondiales, ruinant des milliers d’épargnants et pénalisant lourdement les économies occidentales. En Afrique centrale, rien de tel : la zone pâtit d’un fort retard en matière de développement des marchés financiers, et les organismes africains (BAD) et internationaux (FMI) insistent sur la nécessité de développer des marchés efficients pour financer le développement.

Plus de quinze ans après leur création, les Bourses de Douala (DSX) et de Libreville (BVMAC) comptent seulement quatre sociétés cotées (contre 45 sur la BRVM d’Abidjan, 65 à Nairobi et 169 à Lagos). La capitalisation boursière cumulée en Afrique centrale demeure anecdotique (environ 270 millions d’euros) et représente 0,5 % du PIB (contre 15 % pour la BRVM, 50 % pour la place de Casablanca et 200 % à Johannesburg). Les marchés obligataires sont quasi exclusivement animés par les émissions d’États.

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Financer l’économie réelle

Prenant acte de la situation, une forte impulsion a été donnée par les autorités, en 2016, engageant la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) à proposer des mesures pour faire financer les États par les marchés, en remplacement de ses financements directs. Par ailleurs, la BEAC et les régulateurs ont lancé la fusion des Bourses de Douala et de Libreville. Le corpus réglementaire se modernise : une convention organise la coopération, l’assistance et l’échange d’informations en vue de l’unification du marché financier régional. Le Cameroun a pris, en 2018, des arrêtés permettant la création effective d’OPCVM (organismes de placements collectifs en valeurs mobilières, dont les actions et obligations).

Si ces progrès et initiatives doivent être salués, il y a urgence à aller plus loin et plus vite. Disposer de marchés finançant l’économie réelle est essentiel, tant pour le secteur privé que pour le secteur public (financement des infrastructures économiques et sociales, valorisation des fonds de retraites).

Travail entre acteurs publics et privés

Pour apporter la « sève financière » dont les économies ont besoin, il convient que les acteurs privés et publics puissent travailler ensemble autour d’actions concrètes.

1. Sur le plan institutionnel, il est essentiel que la fusion des Bourses régionales soit effective en 2019 et que les États d’Afrique centrale mènent des actions concertées pour que la nouvelle place prenne son envol. La privatisation des principales sociétés à fort potentiel (sociétés agricoles, énergétiques, d’hydrocarbures) et un encouragement à l’introduction en Bourse des sociétés locales ou filiales de multinationales (à l’image de Total, Unilever, Nestlé sur la BRVM) lui donneraient une impulsion bienvenue.

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2. Sur le plan réglementaire, il convient que les États et le secteur privé travaillent de concert pour accélérer la modernisation du corpus existant, en s’inspirant de leurs pairs de la zone francophone (Maroc), voire d’Afrique anglophone, plus dynamique (Kenya, île Maurice, Afrique du Sud). La libre circulation des personnes et des capitaux doit continuer sur son élan actuel. Un cadre fiscal favorable et homogène pour tous les épargnants de la zone Cemac doit voir le jour pour encourager le développement de nouveaux produits.

3. « Il n’est de richesse que d’hommes » : les acteurs du secteur doivent attirer les talents. Il convient de mettre en place des formations adaptées à l’université, en lien avec les acteurs privés. Il faut attirer les talents locaux et de la diaspora, en leur proposant des conditions avantageuses et des défis à leur mesure : contribuer à moderniser leurs pays grâce à des marchés financiers de « classe mondiale ». C’est ainsi que naîtra un écosystème financier solide (fonds d’investissement, gestionnaires d’actifs, brokers), au-delà des banques et des assurances.

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« Un arbre privé de sève ne donne pas de fruit »

4. Le privé doit aussi mener des actions de sensibilisation et de formation à destination des autorités, des institutions financières et des particuliers. Il faut démontrer aux particuliers que le placement de leur épargne peut se faire dans des produits diversifiés, sûrs et rentables, au-delà de la « valeur refuge » qu’est l’immobilier. Il faut attirer les capitaux étrangers en leur prouvant que les marchés sont transparents, liquides et robustes.

5. Enfin, les acteurs du secteur financier doivent innover, s’adapter au contexte local, être au service de l’économie réelle. L’investissement dans les partenariats publics-privés doit être encouragé, dans un contexte de déficit d’infrastructures. Des produits d’épargne alternatifs doivent être proposés, comme a pu le faire Cofina en Afrique de l’Ouest avec son opération de titrisation de créances.

« Un arbre privé de sève ne donne pas de fruit » : les économies d’Afrique centrale, manquant de capitaux, ne peuvent atteindre leur potentiel en matière de croissance et d’emploi. Il appartient aux responsables publics de fixer le cadre et de promouvoir une finance responsable. Aux acteurs du secteur privé revient la tâche de prouver que la finance sert le bien commun et n’est pas qu’un moyen de « faire de l’argent avec de l’argent ».

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