Casques bleus ou touristes sexuels ?

Après avoir reconnu quelque 150 cas d’«inconduite», l’ONU semble décidée à faire le ménage.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Ils sont au total 13 100, dont 2 300 civils et 10 800 Casques bleus et policiers, originaires d’une cinquantaine de pays. Ils sont en République démocratique du Congo (RDC) pour faire respecter un accord de paix signé, au terme de cinq années d’une guerre civile meurtrière, entre le gouvernement et des chefs de guerre. Si la grande majorité de ces « missionnaires et soldats de la paix » est irréprochable, plusieurs dizaines d’entre eux sont aujourd’hui au coeur de ce qu’il faut bien considérer comme l’un des plus gros scandales de l’histoire des Nations unies. Pédophilie, prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, harcèlement sexuel, viols, tentatives de viols sont, hélas ! devenus monnaie courante au sein de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc).
Révélée il y a quelques mois par J.A./l’intelligent (voir le n° 2264), l’affaire vient, pour l’essentiel, d’être confirmée par une enquête conduite par le très officiel Bureau des services de contrôle interne (BSCI), créé il y a dix ans pour épauler le secrétaire général de l’ONU. Les premiers éléments de l’enquête sont à ce point accablants que Kofi Annan a fait part de sa « honte » devant autant « de preuves évidentes d’inconduite ». Quelque cent cinquante cas, dont un grand nombre ont pour théâtres Bunia, dans l’Ituri (Nord-Est), Goma, dans l’Est, près de la frontière rwandaise, Kalémié, au Sud-Est, et Kinshasa, font actuellement l’objet d’une investigation.
L’ampleur des découvertes est telle que le BSCI a reçu, le 22 novembre, des renforts en provenance de New York. « Nous prenons cette affaire très au sérieux, explique, au téléphone, le porte-parole de la Monuc, Mamadou Bah. Nous avons d’ailleurs été les premiers à alerter le siège de l’ONU à New York, les médias, l’opinion publique internationale et congolaise sur le sujet, preuve que nous entendons jouer la transparence. »
Que se passe-t-il donc à la Monuc ? En octobre dernier, un responsable français en poste à Goma, dans l’est de la RDC, a été rapatrié vers son pays d’origine, où il a été mis en examen le 2 novembre par un juge d’instruction parisien pour pédophilie, avant d’être laissé libre sous contrôle judiciaire. Âgé de 41 ans, l’intéressé avait été surpris par la police congolaise en compagnie d’une petite fille de 12 ans dont il avait acheté les faveurs. Devant ses employeurs, puis durant la garde à vue, il a reconnu les faits. Des photos et des cassettes vidéo pédophiles ont été saisies à son domicile. Auparavant, la Monuc avait rapatrié deux Casques bleus du contingent tunisien pour abus sexuels sur des femmes à Kinshasa. Quatre autres fonctionnaires de la Monuc, dont deux hauts responsables en poste dans la capitale, sont actuellement suspendus. Et deux Casques bleus sud-africains sont retenus dans l’est de la RDC, à la demande de leur hiérarchie, pour les besoins d’une enquête. Et ce n’est pas tout.
Il y a deux ans, une gamine de 6 ans avait été violée par un fonctionnaire onusien, à Goma. Le coupable, un Casque bleu marocain, n’a pas été sanctionné et est rentré tranquillement dans son pays. Un citoyen russe occupant un poste de responsabilité, qui s’était amouraché d’une mineure, a dû quitter discrètement la RDC, sous protection policière, pour éviter le scandale. Une gradée sud-africaine aurait été violée par un de ses compatriotes, homme du rang. Les enquêteurs auraient saisi des cassettes vidéo et des photos de partouzes, parfois avec des mineures congolaises…
« Il y a beaucoup de touristes sexuels parmi nous, mais nous sommes résolus à faire le ménage », souligne-t-on au siège de l’ONU, à New York, où le secrétaire général a décrété, depuis peu, la « tolérance zéro » en matière de violences et d’exploitation sexuelles. Annan a récemment dépêché son – tout nouveau – « conseiller en matière d’exploitation sexuelle », le prince Zeid Ra’ad al-Hussein (également représentant permanent de la Jordanie auprès des Nations unies) en RDC pour qu’il se rende compte de la gravité du problème. Jusque-là, les fonctionnaires et les Casques bleus fautifs étaient mutés ou reconduits, bien souvent en catimini, dans leurs pays d’origine. Quand ils ne se confondaient pas en excuses du genre : « Je croyais avoir affaire à une fille majeure ! » Et l’institution évitait soigneusement de mentionner les noms et pays d’origine des coupables.
Ces derniers devront désormais répondre de leurs forfaits, et l’on ne fera plus mystère de leur nationalité. Et tout commandant de contingent dont un soldat se rendra coupable de violences sexuelles sera, ni plus ni moins, remercié. « Les règles veulent que les soldats coupables soient jugés dans leur pays par une cour martiale, explique Mamadou Bah. L’ONU, en tant que telle, ne dispose ni de troupes ni de tribunal militaire. Nos troupes sont celles que des pays veulent bien mettre à notre disposition. C’est donc aux pays d’origine qu’il revient de sanctionner leurs nationaux. La Monuc peut tout au plus les rapatrier immédiatement pour qu’ils soient jugés chez eux. Les civils, en revanche, se verront appliquer des sanctions administratives, à savoir la suspension ou la radiation pure et simple. »

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