Bisbilles et feuille de route

Côte d’Ivoire, Grands Lacs, Bakassi… Les sujets d’empoignade n’ont pas manqué durant le Xe sommet de l’OIF, les 26 et 27 novembre, à Ouaga.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

France-Côte d’Ivoire ; Côte d’Ivoire-Burkina ; Mauritanie-Burkina ; Togo-Burkina ; France-Rwanda ; RD Congo-Rwanda… Jamais, sans doute, un sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) n’a été autant marqué par les conflits, les déchirures et autres chamailleries entre quelques-uns de ses différents membres que celui qui s’est tenu à Ouagadougou, les 26 et 27 novembre. Le conflit ivoirien et ses derniers développements militaires se sont installés au coeur des débats. La bataille a été rude autour du projet de résolution sur la Côte d’Ivoire, discuté presque mot après mot, ligne après ligne. À l’arrivée, un texte moins dur pour les autorités d’Abidjan et qui s’est aligné sur la décision de l’Union africaine (UA) et du Conseil de sécurité des Nations unies de décréter l’embargo sur les armes, assorti de menaces de sanctions individuelles.
Le reste parle des accords de Marcoussis (janvier 2003) et d’Accra III (juillet 2004) et « exige leur stricte application », mais ne mentionne pas explicitement l’article 35 relatif aux conditions d’éligibilité à la présidence (le scrutin est prévu en octobre 2005). La France, qui n’a pas voulu jeter de l’huile sur le feu et entretenir l’idée d’un bras de fer avec Abidjan, a volontairement adopté un profil bas. Contrairement à Alphonse Voho Sahi, conseiller du président Laurent Gbagbo et son représentant au sein du Conseil permanent de la Francophonie (CPF), qui espérait sinon un soutien des pays du Sud, du moins un peu plus de compréhension. Mais il n’a pu empêcher que le document, outre l’alignement sur les positions de l’UA et de l’ONU, invite « le secrétaire général de l’OIF Abdou Diouf à veiller, le cas échéant, à la pleine application du chapitre V (alinéa 3) de la Déclaration de Bamako ».
La disposition en question est un arsenal de sanctions graduées contre un État membre « en cas de rupture de la démocratie ou de violations massives des droits de l’homme ». Cette menace de suspension de la Côte d’Ivoire a rencontré des réticences, notamment françaises, le président Jacques Chirac ne souhaitant pas que son homologue ivoirien devienne dans la Francophonie ce que Robert Mugabe est devenu dans le Commonwealth. Le contenu du document final s’en est ressenti.
Il n’y a pas eu de crispations, en revanche, sur l’élaboration d’autres projets de résolution, dont ceux relatifs au Proche-Orient et au Fonds mondial de solidarité (FMS), introduit par la Tunisie. Dans le premier, les chefs d’État et de gouvernement appellent « la communauté internationale à se mobiliser afin de faciliter la tenue d’élections démocratiques auxquelles tous les Palestiniens, y compris ceux de Jérusalem-Est, pourront participer ». Dans le second, ils appellent à « promouvoir le FMS notamment auprès de la société civile, les fondations, le secteur privé et les particuliers pour la mobilisation des ressources financières nécessaires au lancement de ses activités ».
Côte d’Ivoire, Darfour, Grands Lacs, contentieux territorial entre le Nigeria et le Cameroun à propos de la péninsule de Bakassi et autres défiances entre États membres, les sujets d’empoignade n’ont pas manqué. Le thème général de ce Xe sommet des chefs d’État et de gouvernement, « Une Francophonie solidaire pour un développement durable », en a été quelque peu chahuté, sinon purement et simplement relégué au second plan. « Normal, précise Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, la famille francophone connaît quelques conflits et tensions de toutes sortes qu’on ne peut pas ne pas aborder ; ce sont des sujets politiques ; ils sont plus médiatiques que d’autres. »
Les travaux à huis clos n’en ont pas moins défini une nouvelle feuille de route : le Cadre stratégique décennal, lequel pose en une douzaine de pages une vision globale pour les dix prochaines années à travers quatre grands objectifs (renforcer l’usage de la langue française ; préserver et mettre en valeur la diversité culturelle et linguistique ; consolider la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit ; contribuer à prévenir les conflits et accompagner les processus de sortie de crise, de transition démocratique et de consolidation de la paix). Il s’agit désormais d’éviter le saupoudrage et la dispersion des moyens, plutôt limités – le budget de l’OIF ne dépassant guère 220 millions d’euros.
Avec une telle enveloppe budgétaire, la Francophonie a besoin de cohérence. La rencontre de Ouagadougou s’y est attelée, confortée par l’annonce du président Chirac de réunir dans le 7e arrondissement de Paris, non loin de l’Unesco et autour du secrétariat général, l’ensemble des opérateurs de la Francophonie. « Car jusqu’ici, indique Dehaybe, on a tâtonné entre la Francophonie politique et la Francophonie de coopération. Certains voulant opposer celle-ci à celle-là. Aujourd’hui, on a mis de l’ordre. Et ce n’est pas un hasard. Le secrétaire général Abdou Diouf est un homme politique, un ancien chef d’État du Sud. Il connaît les réalités des pays du Sud et l’importance de la coopération et du développement qui n’est durable que grâce à la prise en compte des réalités culturelles. »
Les travaux pratiques sont autrement plus compliqués que ces principes, mais un pas semble avoir été franchi à Ouagadougou. Le Cadre stratégique décennal prévoit ainsi, en février prochain, l’organisation d’une conférence sur la mise en valeur du bassin du fleuve du Congo, et le lancement, au cours d’une autre conférence internationale, en juin 2005, à Paris, d’une structure de microcrédit (le père de la microfinance, le Pakistanais Muhammad Yunus, a d’ailleurs fait le déplacement de la capitale burkinabè) avec un fonds initial français de 20 millions d’euros.
Entre eux, chefs d’État et de gouvernement ont abordé les questions qui fâchent, même si elles peuvent paraître secondaires : les bourses attribuées au compte-gouttes, la délivrance des visas. Car, selon le président Blaise Compaoré, « la Francophonie serait obsolète si elle ne facilitait dans son espace la libre circulation, le mouvement des étudiants, des intellectuels, des hommes de culture… » Et, sur ce dernier point, des voix se sont élevées dans certaines délégations pour regretter les dommages de l’affaire Wemba de trafic de faux visas en direction de la France et de la Belgique (voir J.A.I. 2289).

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