« Arafat, l’inventeur politique du peuple palestinien »
J’ai eu maintes fois l’occasion de rencontrer Yasser Arafat avec François Mitterrand, ou en tant que ministre des Affaires étrangères avec le président Chirac ou avec Lionel Jospin, ou lors de mes propres déplacements au Proche-Orient. Yasser Arafat aura été le symbole de la Palestine, et même pourrait-on dire « l’inventeur » politique du peuple palestinien. Avant lui, les Palestiniens n’étaient, aux yeux du reste du monde, d’Israël, et même des États arabes que des réfugiés. C’est grâce à l’obstination du fondateur de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qu’ils ont accédé au statut de peuple. Pour atteindre cet objectif, Arafat et les siens, s’estimant privés de tout moyen d’expression politique, ont eu longtemps recours, on ne peut pas le nier, au terrorisme.
Puis, au fur et à mesure que la cause palestinienne commençait à être reconnue, on a vu apparaître d’autres facettes d’Arafat, plus politiques. Ce qui frappait chez lui, c’est un mélange de vision stratégique et de ruse tactique mais aussi de refus de choisir, de trancher entre les diverses lignes et les courants, peut-être pour mieux les assumer, les incarner, les contrôler tous ?
Après Camp David, à l’été 2000, on a voulu en faire, à dessein, aux États-Unis et en Israël, l’unique responsable de l’échec, ce qui aurait révélé son refus de faire la paix et dispensé de négocier plus avant. Cette propagande a été efficace. En fait, Barak et Clinton avaient eux aussi commis diverses erreurs comme l’attestent l’enquête fouillée et incontestable [du journaliste de France 2] Charles Enderlin (La Paix brisée, éd. Fayard) et les témoignages de Robert Malley [ancien conseiller de Bill Clinton pour le Proche-
Orient]. Mendès France a eu sans doute une opinion plus juste en comparant autrefois Yasser Arafat aux radicaux-socialistes avec leur tendance à éviter les choix tranchés et à
ménager en permanence la chèvre et le chou.
On pourrait adresser à Arafat un grief plus sérieux. Il aurait sans doute dû accepter les propositions américaines de décembre 2000 (les fameux « paramètres Clinton », tardifs
mais honnêtes), quitte à assortir son acceptation de conditions Et cela d’autant qu’il avait obtenu via le prince Bandar, l’ambassadeur saoudien à Washington, ce qui lui avait
manqué l’été précédent à Camp David : le feu vert de Riyad. Mais il n’a pas mis à profit cette ouverture majeure. Sans doute pensait-il alors, George W. Bush étant déjà élu et
Clinton partant, qu’il obtiendrait davantage avec les républicains, qu’il croyait plus proches des Arabes. Grave erreur d’appréciation très répandue au Proche-Orient, et qui ne tenait aucun compte du basculement réactionnaire du parti républicain et néoconservateur. On connaît la suite
En tout cas, j’estime que la France a eu raison avec François Mitterrand, puis avec Jacques Chirac, d’accompagner et d’encourager la mutation politique du mouvement palestinien. Le raisonnement de base reste juste : Israël ne pourra faire la paix qu’avec ceux qui le combattent et aura besoin pour cela d’interlocuteurs représentatifs.
* Ancien ministre français des Affaires étrangères (1997-2002).
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