A l’heure des comptes

Le 7 décembre, face au candidat de l’ancien parti au pouvoir qu’il a déjà battu en 2000, John Kufuor brigue un nouveau mandat à la tête de l’État. Voici le bilan politique et économique qu’il présente à ses compatriotes.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 10 minutes.

Le « gentil géant » sur tous les fronts

Quel bilan le président ghanéen John Agyekum Kufuor présente-t-il à ses onze millions de compatriotes pour les convaincre de voter pour lui le 7 décembre ? Quatre ans après sa victoire, le « gentil géant » de 66 ans est pour la seconde fois le candidat du Nouveau Parti patriotique (NPP, au pouvoir) contre John Atta Mills du Congrès national démocratique (NDC, principal parti de l’opposition). Les deux hommes se connaissent pour s’être déjà affrontés en décembre 2000.
Avec cette victoire de John Kufuor, le Ghana étrennait la première alternance politique de son histoire, mettant ainsi fin à dix-neuf ans de pouvoir de Jerry John Rawlings. Mais le contexte national était extrêmement difficile du fait d’une situation économique mauvaise, de troubles internes récurrents nourris de rancoeurs et de désirs de vengeance. Et la sous-région était agitée par les conflits sanglants du Liberia et de la Sierra Leone.
À Osu Castle, le palais présidentiel, John Kufuor engage une politique de consolidation de la démocratie et ne néglige aucun effort diplomatique pour le retour de la paix dans les pays voisins.
Après bien des turbulences, ce pays anglophone jouit certes d’une réputation « de modèle de stabilité politique et démocratique » renforcée par l’adoption en 1992 d’une Constitution, la proclamation en 1993 de la ive République et une alternance politique réussie en 2000. Mais la population est encore traumatisée par les violations des droits de l’homme sous les régimes militaires qui se sont succédé – de 1966 à 1969, de 1972 à 1979 et de 1981 à 1993 – depuis l’indépendance du pays en 1957. Kufuor lance donc l’idée d’une réconciliation nationale suivie de la mise sur pied en janvier 2002 d’une Commission Vérité et Réconciliation (NRC) calquée sur le modèle sud-africain. Ses neuf membres enquêtent sur les atteintes aux libertés fondamentales.
En octobre 2004, à l’issue de vingt et un mois d’audition, dont celle de l’ancien président Jerry Rawling, la NRC enregistre plus de 4 153 témoignages. Accusé par l’opposition, notamment le NDC, de vouloir profiter de cette initiative pour régler des comptes avec d’anciens dignitaires du pouvoir, Kufuor précise que les recommandations de la Commission ne visent pas à sanctionner mais à « pacifier les coeurs et les esprits. […] Nous devons apprendre à rire à nouveau, à apprécier ce qu’il y a de meilleur en chacun de nous, je ne demande pas d’oublier, mais essayons de pardonner ». L’inauguration d’une plaque à la mémoire de tous les martyrs assassinés avant 1992 viendra consolider cette nouvelle ère.
Multipliant les gestes d’apaisement et appelant au pardon, Kufuor a réhabilité les deux anciens chefs d’État Ignatius Acheampong et Frederick Akuffo exécutés en 1979. Leurs corps ont été réinhumés avec les honneurs dus à leur rang. Dans la foulée, en juillet 2004, l’État a rendu son passeport diplomatique à Fathia Nkrumah, veuve du premier président du pays Kwamé Nkrumah, que lui avait retiré l’ancien régime.
Grâce aux campagnes de sensibilisation, les affrontements interethniques, qui ont fait depuis 1994 plus de 130 morts et 150 000 déplacés, ont spectaculairement baissé. L’état d’urgence qui avait été décrété dans le nord du pays, théâtre des massacres, a été levé en août 2004. La loi sur la diffamation criminelle au nom de laquelle plusieurs journalistes avaient été jetés en prison a été abolie en juin 2001. Les partis politiques qui renaissent de leurs cendres bénéficient d’un environnement paisible, les opposants critiquent l’action gouvernementale sans crainte de représailles ou d’exécutions sommaires.
Toutes ces initiatives rassurent les bailleurs de fonds, les investisseurs et les partenaires du Ghana. La séparation des pouvoirs est amorcée de même que la bonne gouvernance. Illustration : un ministre a été mis en prison après la disparition de 46 000 dollars censés récompenser l’équipe nationale de football. Et contrairement à certains de ses homologues, le « gentil géant » affirme, à qui veut l’entendre, qu’il n’a pas l’intention de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. Majorité et opposition s’acceptent mutuellement et s’empoignent sur des sujets qui ne sapent pas les bases de la démocratie. Même si le régime a essuyé deux tentatives de coup d’État, en janvier et novembre 2004.
Ces alertes n’ont pas empêché Kufuor d’être omniprésent sur le plan diplomatique. Il se rapproche des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Union européenne, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, comme en témoigne sa participation en juin 2004 au sommet du G8 à Sea Island. Bien que chouchou de l’Occident, il poursuit la coopération Sud-Sud (Cuba, Inde, Malaisie, Chine, Maroc…) de son prédécesseur. Rawlings était respecté par ses pairs africains, en raison de ses prises de position au nom des pays en développement. Pour sa part, Kufuor s’est fait connaître comme porte-parole de la « nouvelle Afrique ».
À la tête de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) depuis 2002, il joue un rôle actif de pacificateur et d’arbitre dans les conflits régionaux. Entre 2002 et 2004, la capitale Accra a accueilli trois sommets consacrés à la crise ivoirienne. Ce sont les pourparlers tenus sous les auspices de Kufuor en 2003 qui ont abouti à la conclusion d’un accord de paix au Liberia. Le chef de l’État s’est également personnellement impliqué dans les différentes crises en Guinée-Bissau. Avec ses voisins francophones (Burkina, Togo, Côte d’Ivoire), il s’est évertué à entretenir des relations de bon voisinage. Sous Rawlings, le président togolais Gnassingbé Eyadéma accusait constamment Accra de soutenir des actions subversives contre son régime. Kufuor a réussi à briser le mur de méfiance entre les deux pays. Le « gentil géant » a fait du processus d’intégration politico-économique de la sous-région une de ses priorités.
Aujourd’hui, le Ghana compte plus de 2 000 soldats déployés hors de ses frontières et, comme hier au Liban ou au Congo, le pays continue de participer aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. Des Casques bleus ghanéens sont en Côte d’Ivoire et d’autres devraient être envoyés en Sierra Leone à partir de décembre. L’ancienne colonie britannique abrite également un centre de formation spécialisé dans la gestion des crises et le maintien de la paix. Ce n’est pas tout : Kufuor est très actif dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Il a été le premier président à accepter de faire volontairement passer son pays par l’épreuve de la « revue des pairs » (MAEP) chargée d’évaluer la bonne gouvernance politique et économique.
Sa politique nationale modérée et son action diplomatique dans la sous-région consolident la stabilité et le prestige du pays, a-t-il répété dans ses meetings de campagne. Est-ce l’avis des électeurs ghanéens ? Réponse le 7 décembre.

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Économie : des succès
incontestables

Lorsque John Kufuor arrive au pouvoir en janvier 2001, il trouve les finances publiques en état de banqueroute, le taux d’inflation atteint 40 % en 2000, le cedi (la monnaie nationale) est déprécié de moitié au cours de la même année, tandis que le service de la dette représente la moitié des revenus de l’État. Les dépenses excessives du gouvernement de Jerry Rawlings à la veille des élections venaient se greffer sur une conjoncture délicate, marquée par la chute des cours du cacao et de l’or (qui représentent plus de la moitié des recettes à l’exportation) et par l’augmentation des cours du pétrole (10 % à 20 % de la valeur des importations).
Face à cette situation, le nouveau régime affiche un programme ambitieux qui promet le rétablissement de la stabilité macroéconomique, l’accélération de la croissance réelle du PIB et l’amélioration des infrastructures. Les autres domaines prioritaires sont la modernisation de l’agriculture, le renforcement des services sociaux, la bonne gouvernance et, enfin et surtout, l’essor du secteur privé.
Le slogan de Kufuor est de faire entrer le Ghana dans « l’âge d’or des affaires », et, de fait, le parti qui accède au pouvoir regroupe l’élite du patronat ghanéen. Le choix du gouvernement est clair : le développement du pays passe avant tout par le secteur privé. Mais pour cela il convient de créer un environnement favorable, la stabilité macroéconomique devenant la première priorité.
Quatre ans plus tard, le Nouveau Parti patriotique (NPP) peut se targuer d’un bilan économique nettement positif. L’inflation est maîtrisée avec un taux qui ne devrait pas dépasser 14-15 % en 2004 (The Economist Intelligence Unit) contre 25,2 % en 2000. Le PIB connaît une accélération de sa croissance : 3,7 % en 2000, 4,2 % en 2001, 4,5 % en 2002 et 5,2 % en 2003. Enfin, le cedi a été rapidement stabilisé par rapport au dollar : si sa dépréciation atteignait 52 % en 2000, elle n’est plus que de 5 % en 2001 et de 3,5 % en 2003.
Plusieurs facteurs extérieurs donnent un premier élément d’explication à ce succès. Le gouvernement a su profiter d’une amélioration des cours de l’or et du cacao. Venant s’ajouter à une bonne campagne phytosanitaire et à la nette augmentation des prix aux producteurs, des conditions climatiques favorables ont permis au pays d’atteindre en 2003-2004 la récolte record de 717 000 tonnes – même si cet accroissement s’explique pour une part par l’inversion des flux de contrebande des fèves avec la Côte d’Ivoire.
En outre, l’initiative d’allègement de la dette pour les pays pauvres très endettés du FMI et de la Banque mondiale, qui regroupe les créditeurs de 89 % de la dette ghanéenne, et pour laquelle le pays s’est qualifié début 2002, lui fera réaliser entre 2002 et 2022 une économie d’environ 230 millions de dollars par an sur le service de la dette. La gestion économique rigoureuse du gouvernement lui permettait également de bénéficier en juillet de cette année de l’annulation de 3,5 millions de dollars sur les 6 milliards de dollars de la dette initiale de 2001. L’État peut ainsi d’ores et déjà libérer une partie de l’argent du service de la dette vers le développement du pays.
Les pays donateurs ont aujourd’hui plus confiance dans la gestion économique du gouvernement, comme le montre la marge de manoeuvre laissée à ce dernier dans la gestion des fonds accordés et l’augmentation de ceux-ci. Cette confiance accrue fait suite à l’amélioration de la gestion financière de l’État. Les mesures prises ont permis une réduction et une restructuration de la dette intérieure, l’amélioration de la gestion des dépenses publiques (paiement des arriérés et réduction des dépenses d’investissement), une meilleure mobilisation des ressources fiscales (création d’un organisme d’audit, le National Tax Audit Team, et meilleure coordination des agences en charge des recettes fiscales, ce qui s’est traduit par une hausse des recettes fiscales), la maîtrise des prix et des taux de change du cedi.
Pour ce qui est des privatisations, l’un des domaines prioritaires du gouvernement, l’État s’est désengagé d’un certain nombre d’entreprises phares, comme la banque Barclays, Coca-Cola, Tema Steel en 2003. Plusieurs autres entreprises sont sur la liste, tandis que sont en projet la privatisation du secteur de l’eau et de l’électricité.
Il est cependant reproché à l’organisme en charge de ces privatisations de ne pas avoir pu accélérer le désengagement de l’État de certaines entreprises publiques, parfois, il est vrai, dans un état assez vétuste et n’attirant guère les investisseurs. Parfois, c’est sous la pression de la société civile que le gouvernement doit reculer, comme lors de la tentative de privatisation de la Ghana Commercial Bank, l’établissement le plus important en termes de dépôts et d’actifs, ou encore pour la privatisation du secteur de l’eau. Les deux opérations ont été reportées après les élections.
Un certain nombre d’initiatives présidentielles spéciales ont été mises en oeuvre ou sont en préparation afin de diversifier l’économie. Il s’agit de créer de nouvelles filières de production et de transformation, de développer les exportations des ressources naturelles du pays et de réduire la pauvreté en milieu rural par des partenariats public-privé. L’initiative qui vise à transformer le manioc en amidon est celle qui a donné jusqu’à présent les résultats les plus visibles, avec une usine opérationnelle et des recettes prometteuses. Mais c’est sur le moyen terme (trois-cinq ans) que pourra être évalué le résultat de ces initiatives, parmi lesquelles le développement d’industries textiles (délocalisées de l’Occident et/ou approvisionnant le marché nord-américain), l’augmentation de la production d’huile de palme, l’essor de la culture du sorgho (pour alimenter les brasseries), la transformation du sel… Cette politique originale, si elle réussit, devrait permettre une croissance portée par l’agro-industrie, avec une estimation de 6 milliards à 10 milliards de recettes annuelles.
Si, comme dans la plupart des pays africains, les investissements directs étrangers (77,9 millions de dollars en 2003) sont à la baisse ces dernières années, ils devraient bientôt connaître un sursaut avec la mise en oeuvre des mesures de l’organisme chargé d’attirer les investisseurs et la prise en compte de la fusion fin 2003 d’Ashanti Goldfields et d’Anglo-Gold (Afrique du Sud), devenue la première société aurifère mondiale.
Une hausse des dépenses publiques en cette année électorale devrait fragiliser l’équilibre budgétaire, mais dans une mesure sans comparaison avec celle du gouvernement NDC à la veille des élections de 2000, le gouvernement n’ayant pas cédé aux mouvements de grève des agents du secteur public.
Pour autant, l’amélioration de la situation économique d’ensemble ne s’est pas traduite par une augmentation du niveau de vie des Ghanéens. De fait, il n’y a pas eu de réduction satisfaisante de la pauvreté, le chômage reste élevé, tandis que l’économie ghanéenne est encore trop dépendante de l’extérieur (qu’il s’agisse des bailleurs de fonds ou du cours des matières premières) et a un besoin urgent de diversification.
Présenté aujourd’hui comme un îlot de stabilité et de démocratie dans la sous-région, bénéficiant de la bienveillance de la communauté internationale, le Ghana semble s’orienter vers un développement économique plus solide. Il reste à espérer que, s’il est reconduit, le gouvernement de John Kufuor saura éviter le piège de la corruption, après avoir fait preuve d’une remarquable énergie pour la lutte contre ce fléau lorsqu’il s’agissait de poursuivre les membres de l’ancien gouvernement.

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