Oum Kalthoum

Quand la nation arabe avait trouvé sa voix…

Publié le 10 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Celle que l’on appelle encore sayyidatou al-ghina al-arabi (la dame de la chanson arabe) est née en l’an 1318 de l’Hégire, 1900 de l’ère chrétienne. Son père, Ibrahim el-Baltagui, imam de son état, et sa mère, Fatima, lui donnent le nom de la troisième fille du messager d’Allah : Oum Kalthoum.
Comme tous les enfants de Tmaïe el-Zahayira, petit village du delta du Nil, « Thouma » fréquente l’école religieuse où elle apprend par cur les versets du Coran. Mieux, elle montre des prédispositions à la psalmodie du Livre sacré, une pratique jusque-là réservée aux hommes. Sa voix est forte, claire et limpide. Une voix de velours et de soie, sensuelle et charnue, cristalline et pure.
Prenant conscience des qualités vocales de sa fille, l’imam de Tmaïe el-Zahayira l’autorise à rejoindre une troupe de chant liturgique. Oum Kalthoum n’a que 12 ans. Pour dérober aux regards les attraits de sa féminité naissante, son pieux père l’affuble de vêtements masculins. Bientôt, sa réputation déborde les villes et villages du delta. Le célèbre joueur de luth, Zakariya Ahmed, l’encourage à se lancer à la conquête du Caire.
Nous sommes en 1923. La jeune femme débarque dans la capitale égyptienne en compagnie de son père. Elle commence par chanter dans des petits théâtres, toujours habillée en garçon. Elle est au seuil d’une fabuleuse carrière. Une pléiade de grands poètes (Ahmed Ramy, Ahmed Chawqi, Bayram al-Tounsi…) et de compositeurs de génie (Mohamed al-Kasabji, Riadh al-Sombati, Mohamed Abdelwahab…) se font un devoir d’exploiter jusqu’aux infimes nuances de sa voix incomparable.
« L’Astre de l’Orient » brille déjà au firmament. Ses tours de chant les premiers jeudis de chaque mois aux théâtres d’Al-Azbakia et de Ramsès attirent la fine fleur de la société égyptienne. Elle chante pour le roi Farouk, pour l’armée et pour le petit peuple, qui écoute religieusement ses chansons diffusées à la radio. Grâce au gramophone, au cinéma et à la télévision, son mythe grandit, déborde l’Égypte, gagne tout le monde arabe et, bientôt, la planète tout entière.
Lors de l’élection présidentielle de 1966, elle exhorte les Égyptiens, par le biais du petit écran, à soutenir le socialisme arabe et son leader, Gamal Abdel Nasser. La symbiose entre le futur raïs, la sitt (la dame) et le petit peuple est alors totale.
Au lendemain de la guerre des Six Jours, qui provoque une onde de choc dans tout le monde arabe, Oum Kalthoum mène une vaste campagne auprès des femmes égyptiennes fortunées pour les inciter à faire don de leurs bijoux au profit de l’effort de reconstruction. Elle entame également une tournée à l’étranger qui l’amène à l’Olympia, à Paris, où la communauté arabe lui réserve un accueil triomphal. Partout où elle chante, à Khartoum, Koweït, Amman, Beyrouth, Abou Dhabi, Karachi, Tripoli, Tunis ou Rabat, elle est portée aux nues par des foules en délire. C’est à Moscou, où elle est en tournée, qu’Oum Kalthoum apprend, le 28 septembre 1970, la mort de Nasser, son alter ego. Lors de son dernier récital, donné au Palais du Nil, en avril 1972, elle interprète une belle chanson d’amour composée par Baligh Hamdi, « Ana wanta dalamna al-hob » (L’Amour nous a tant malmenés). Elle y met tout son art, son âme, son être. Comblé, le public applaudit, debout…
Lorsque la diva s’éteint, le 3 février 1975, à l’âge de 75 ans, elle ne laisse pas d’enfants, mais une nation d’orphelins et un répertoire riche de 283 titres. L’image de la foule compacte (un demi-million de personnes) accompagnant la cantatrice à sa dernière demeure restera gravée dans la mémoire de millions d’Arabes comme le symbole de la communion entre une nation à la recherche de son unité perdue et une artiste hors pair qui sut le mieux traduire à la fois ses aspirations les plus élevées et ses désirs les plus humains.

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