Liban : la légalisation du cannabis, écran de fumée ou opportunité économique ?

Parmi plusieurs propositions de pistes destinées à relancer l’économie libanaise, le cabinet de conseil McKinsey recommande la légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques. Une mesure qui pourrait rapporter près de 500 millions de dollars par an au Liban.

Un champ de cannabis du village de Yammoune, à 25 kilomètres au nord-ouest de la ville de Baalbek, dans la vallée de la Bekaa au Liban. © Hassan Ammar/AP/SIPA

Un champ de cannabis du village de Yammoune, à 25 kilomètres au nord-ouest de la ville de Baalbek, dans la vallée de la Bekaa au Liban. © Hassan Ammar/AP/SIPA

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Publié le 30 juillet 2018 Lecture : 3 minutes.

« Maman, je vais me marier avec un garçon originaire de Baalbek (dans la Bekaa). Il cultive du haschich. – Tu es sûre qu’il ne te ment pas et qu’il n’est pas juste ingénieur ? » Cette plaisanterie libanaise illustre la place que tient la culture du cannabis dans ce petit pays sans grandes ressources naturelles. Les plus gros cultivateurs de la plaine de la Bekaa, une région frontalière de la Syrie au climat propice à cette culture, dégageraient ainsi entre 1 million et 1,5 million de dollars par an.

Des gains importants

Désireux de ne pas laisser cette manne lui filer entre les doigts, l’État libanais envisage aujourd’hui de renverser la perspective, après avoir largement échoué à réprimer une pratique qui s’affiche au grand jour. Et de légaliser la culture et la consommation, « à des fins médicales », précise le 18 juillet Nabih Berri, le président de l’Assemblée. Ce dernier a ainsi annoncé une révision de la législation sur le sujet. Selon le ministère de l’Économie, une telle mesure rapporterait quelque 500 millions de dollars par an (près de 429 millions d’euros) au Liban.

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C’est lors de la guerre civile libanaise (1975-1990) que la culture du cannabis connaît un véritable boom dans le pays. Les diverses milices qui s’affrontent y voient un moyen efficace et rapide de se financer. Selon une étude de 1993 du sous-comité américain contre le crime et pour la justice, un officier syrien affecté au Liban pouvait espérer réaliser un gain de 30 000 dollars par an (près de 26 000 euros) grâce au trafic.

Des travailleurs masqués dans un champ de cannabis dans le village de Yammoune, à 25 kilomètres au nord-ouest de la ville de Baalbek, dans la vallée de la Bekaa au Liban. © Hassan Ammar/AP/SIPA

Des travailleurs masqués dans un champ de cannabis dans le village de Yammoune, à 25 kilomètres au nord-ouest de la ville de Baalbek, dans la vallée de la Bekaa au Liban. © Hassan Ammar/AP/SIPA

L’entrée de l’armée syrienne dans le territoire libanais en 1976 voit l’implantation de plusieurs fermes de cannabis, et bien que sa consommation en Syrie soit en théorie lourdement punie (jusqu’à des condamnations à perpétuité), le régime tire un profit substantif du savoir-faire de son voisin en la matière et du trafic international.

Le départ des troupes syriennes en 2005, après la mort de Rafic Hariri, porte un coup dur aux cultivateurs de la Bekaa, et voit l’armée libanaise mener de nombreux raids d’arrachage des plants. Avant que la guerre civile syrienne, à partir de 2011-2012, ne relance fortement la production, l’armée libanaise n’ayant plus les moyens de se concentrer sur la lutte anti-drogue.

Soutiens diverses

Sans compter que les cultivateurs n’hésitent pas à attaquer au lance-roquettes les bulldozers de l’armée chargés de détruire les champs. Près de 40 000 mandats d’arrêt contre des cultivateurs de la Bekaa seraient ainsi en suspens. L’afflux de réfugiés syriens a également offert une main-d’œuvre bon marché aux agriculteurs de la région, qui, pour la plupart, soutiennent le projet de légalisation. Ils dénoncent l’hypocrisie d’autorités corrompues qui ferment les yeux sur le trafic. Les principaux bénéficiaires de l’illégalité du cannabis seraient les trafiquants protégés par les autorités, au détriment des producteurs.

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Ces derniers sont pour la plupart organisés en clans autonomes, lourdement armés et jaloux de leur indépendance. Pour la plupart chiites, certains producteurs-trafiquants ont mis en avant leur sympathie pour le Hezbollah, comme Nouh Zaiter. Pour autant, le parti chiite libanais se montre quelque peu gêné aux entournures sur la question. Soucieux de ménager sa clientèle chiite de la région, il ne peut, vu sa religiosité affichée, approuver explicitement ce projet de modification de la législation.

Dans la classe politique libanaise, c’est le leader druze Walid Joumblatt, secrétaire général du Parti, qui se montre, depuis plusieurs années, le plus chaud partisan de la légalisation du cannabis et de l’abandon des poursuites contre les cultivateurs.

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Dans le pas de nombreux pays

La légalisation du cannabis est depuis quelques années de plus en plus sérieusement envisagée par un nombre croissant de pays, qui ont pris acte des échecs de la prohibition. En Tunisie, le 25 avril 2017, l’Assemblée a adopté un texte permettant aux magistrats de prendre en compte les circonstances atténuantes pour chaque accusé.

Au Maroc où, à l’instar du Liban, la culture est ancienne et importante, les petits producteurs ne peuvent envisager, comme leurs confrères de la Bekaa, de défendre leur production par les armes. Ils sont donc particulièrement exposés à la prédation des trafiquants et à la répression de l’État. Une situation qui a poussé le Parti justice et développement (PJD) à proposer en 2015 un projet de loi légalisant la production du cannabis à « des fins thérapeutiques et industrielles ». Le projet est pour l’instant au point mort.

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