Au Cameroun, l’Église catholique victime collatérale de la crise anglophone

Deux prêtres ont été tués en l’espace d’une semaine dans les régions anglophones du Cameroun. Le clergé, qui a depuis initié une médiation, peine à se faire entendre par le gouvernement.

Le cardinal Christian Tumi, mi-février 2016, devant sa maison, à Douala. © Victor Zebazé pour JA

Le cardinal Christian Tumi, mi-février 2016, devant sa maison, à Douala. © Victor Zebazé pour JA

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 31 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

Marché de Buea © Bmnda, CC, wikimedia Commons
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Cameroun : les véritables victimes de la crise anglophone

La crise qui sévit dans les régions anglophone du Cameroun depuis plus d’un an, qui voit des violences récurrentes entre sécessionnistes armés et forces gouvernementales, ne faiblit pas. De l’Église aux entreprises en passant par les populations, le point sur les victimes et conséquences de ce conflit qui s’installe dans la durée.

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L’émotion est encore vive au sein de la communauté religieuse du Cameroun. Réunis en grand nombre, le dimanche 29 juillet, dans la paroisse de Bomaka à Buea (région du Sud-Ouest), les fidèles s’attelaient à préparer les obsèques de leur curé, tué par balle le 20 juillet dernier. Ce jour-là, le père Alexander Sob a été abattu par des hommes non identifiés, alors qu’il effectuait un déplacement à Muyuka, la ville voisine.

De l’avis de plusieurs fidèles, l’annonce de sa mort a été « brutale ». Certains d’entre eux ont appris la triste nouvelle alors qu’ils l’attendaient à l’église pour un meeting. « J’ai échangé avec le père à la mi-journée (du 20 juillet). Nous devions nous revoir à la réunion de 17 h 30. Vers 16 heures, lorsqu’on m’a annoncé son décès, je n’en revenais pas », se souvient un paroissien.

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Les circonstances de la mort de ce religieux, en service à Bomaka depuis un peu plus d’un an seulement, laissent la plupart des fidèles dans l’interrogation. Si la majorité des regards se tourne vers les responsables de l’Église catholique, celle-ci peine à donner les réponses attendues.

À l’évêché de Buea par exemple, aucun religieux ne souhaite s’exprimer sur la crise anglophone. « Le gouvernement et l’Église gèrent cette affaire ensemble. Nous ne pouvons pas en parler à notre niveau pour le moment », indique ainsi un prêtre à Jeune Afrique. Scénario similaire au diocèse de Bamenda, où l’on se contente de confirmer la mort d’un prélat à Widikum (Nord-Ouest), le 26 juillet. Il s’agit du deuxième décès enregistré par l’Église catholique en l’espace d’une semaine. Une situation inédite depuis le début de cette crise en novembre 2016.

Médiation des religieux

Condamnée pour son mutisme par certains membres de l’Église catholique et par des médias locaux, le clergé a tout de même réagi, peu de temps après le décès d’Alexander Sob. Le 25 juillet, le cardinal Christian Tumi a de ce fait réuni les imams des villes de Buea et Bamenda, ainsi que le chef de l’Église presbytérienne du Cameroun, pour débattre des solutions à apporter à la crise anglophone. Au sortir de cet échange, les quatre leaders religieux ont convié l’ensemble des populations anglophones à une conférence baptisée « Anglophone general conference » (Conférence générale anglophone), qui devrait se tenir fin août.

L’Église est déterminée à contribuer à la restauration de la paix », affirme un responsable catholique

« L’Église aborde le problème anglophone dans sa globalité et elle est déterminée à contribuer à la restauration de la paix », affirme un responsable catholique sous couvert de l’anonymat. « Ce sera certainement la première étape d’un processus de sortie de crise, il est nécessaire que nous l’accompagnions positivement », ajoute-t-il.

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L’annonce de la médiation de l’Église n’a cependant eu aucune conséquence directe sur le terrain. La situation est restée tendue dans les deux régions anglophones durant le week-end qui a suivi. À Ndop (Nord-Ouest), au moins 160 détenus se sont évadés dans la nuit de samedi à dimanche suite à l’attaque de leur prison par des hommes armés. À Bomaka, les paroissiens sont rentrés tôt, en raison de troubles signalés dans le quartier voisin de Muea.

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Cible de menaces ?

Si l’Église catholique n’a effectué aucun bilan officiel des préjudices qu’elle a subi depuis le début du conflit, les religieux, eux, affirment connaître les difficultés rencontrées par leur ministère. Ils évoquent principalement des menaces à l’endroit des prêtres (particulièrement les responsables d’établissements scolaires), la destruction des lieux de culte et des écoles dans des villages, ainsi que l’exode des fidèles.

La crise s’amplifie, et tout le monde est une cible potentielle », souligne un abbé

Pour l’abbé Vincent Mesue, la menace est réelle, même si cela ne peut l’empêcher de remplir ses obligations d’homme d’Église. « La crise s’amplifie, et tout le monde est une cible potentielle. Nos fidèles en souffrent, et nous aussi. Mais nous sommes des hommes de Dieu, et nous ne pouvons nous empêcher de prêcher l’évangile. L’Église a pris des mesures, nous espérons que cela contribuera à faire revenir la paix ».

Le gouvernement rejette certains préalables

Pour l’heure, l’initiative du cardinal Tumi a été saluée par plusieurs acteurs de la vie socio-politique camerounaise. Notamment par le Social democratic front (SDF, opposition), qui a affirmé le 29 juillet soutenir cette action, à la fin d’une réunion de son bureau politique. Le gouvernement camerounais, quant à lui, indique être favorable à toute initiative allant dans le sens d’une résolution de la crise, mais rejette l’idée d’un cessez-le-feu préalable, tel que souhaité par le cardinal pour mettre notamment en place la conférence.

« On ne peut pas se permettre de placer au même niveau l’armée républicaine, qui défend le territoire (…), que celui des bandes armées, des terroristes », a déclaré Issa Tchiroma Bakary, le porte-parole du gouvernement, à la télévision nationale le 27 juillet.

Dans ce concert de voix divergentes, celle de l’Église est définitivement engagée. Reste à savoir quel sera l’impact de sa médiation.

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