La Chine déstabilise l’Europe

Routes, infrastructures pétrolières, logement… En forte croissance, le marché africain du bâtiment et des travaux publics pèse déjà plus de 12 milliards de dollars. Au point d’intéresser de nouveaux géants venus d’ailleurs.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Les patrons des grandes entreprises européennes de construction sont inquiets. La montée en puissance des opérateurs chinois leur donne des sueurs froides. D’autant qu’ils ne voient pas comment lutter à armes égales contre ces nouveaux concurrents, particulièrement en Afrique. Avec leurs prix bradés, une main-d’oeuvre abondante et une qualité de plus en plus reconnue, les sociétés chinoises raflent la plupart des appels d’offres auxquels elles participent pour la réalisation de bâtiments officiels, de logements sociaux, de routes, d’aéroports, de barrages, d’espaces culturels et de stades.
Mozambique, Cameroun, Congo, Gabon, Mali, Algérie, Maroc… La liste des pays qui leur passent commande est longue. Dernier exemple : la China Road and Bridge Corporation (CRBC) a remporté, fin août, la réfection de 13 km de routes à Douala et dans les environs, devant des candidats aussi renommés que le consortium franco-allemand Sogea Satom/Razel et les Néerlandais de Koop. La CRBC s’est simplement montrée moins gourmande, permettant au passage au gouvernement du Cameroun de faire 30 % d’économie par rapport à ses prévisions.
Depuis trois ans, la China State Construction & Engineering Corporation (CSCEC) obtient de nombreux contrats immobiliers en Algérie. Le numéro un du BTP chinois est parfaitement rodé : il vient avec sa main-d’oeuvre, qu’il loge sur les chantiers, et travaille à une vitesse record. « Nous sommes impuissants. Les sociétés chinoises payent leurs ouvriers à des tarifs moindres que ceux que perçoivent les employés africains », avoue Yannick Moulin, directeur commercial de Sogea Satom, filiale du groupe Vinci.
Certes, les entreprises françaises restent les premières en Afrique selon le classement 2003 des entreprises mondiales de travaux publics réalisé par la revue américaine Engineering News Record (ENR). Mais pour combien de temps ? La Chine réalise une percée fulgurante au niveau mondial et place 43 entreprises dans ce classement restreint des 225 premiers groupes internationaux. Soit une sur cinq… Les grandes entreprises occidentales doivent également faire face à une nouvelle concurrence des sociétés d’Europe de l’Est, de Turquie ou bien d’entreprises africaines locales. Et le renforcement des règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de passation des marchés ne leur facilite pas la tâche, notamment pour le versement des commissions. « Certains chantiers nous échappent, car nous ne pouvons pas proposer les mêmes niveaux de rémunération que nos concurrents du Sud. Heureusement, nous en gagnons d’autres pour la qualité de nos prestations », explique un responsable commercial européen.
Pourtant, malgré cette nouvelle concurrence, les entrepreneurs français restent confiants. Le marché africain devrait connaître un développement important dans les années à venir, notamment dans les nouveaux États pétroliers, qui possèdent des ressources pour développer leurs infrastructures. Pour Philippe Ratynski, président du groupe Vinci Construction, l’expérience des entreprises hexagonales dans la conduite de partenariats public-privé et la prise en charge d’ouvrages sur toute leur durée de vie leur donne un avantage par rapport à leurs concurrents. D’ailleurs, elles ont remporté de nombreux contrats en Afrique en 2003. Le plus important est celui du port de Tanger, pour lequel Bouygues Construction s’est vu confier un marché de 150 millions d’euros sur trois ans. Amec Spie (génie civil et infrastructures) a obtenu deux importants projets en Algérie dans le domaine des équipements de pompage et de gaz pour 117 millions d’euros. La Cegelec a vendu ses prestations d’ingénierie et de services pour le pipeline tchadien et l’électrification rurale au Maroc. Enfin, Sade, filiale de Veolia Environnement, a remporté différents marchés en matière d’équipement et de construction hydrauliques en Afrique de l’Ouest, tandis que Colas (transport) obtenait des marchés routiers à Madagascar et à Djibouti.
Selon le classement d’ENR, le marché africain a enregistré une hausse significative de 14,4 % en 2003, à 12,7 milliards de dollars, confirmant la tendance d’une reprise durable et soutenue dans cette région. Les groupes français arrivent en première position, profitant du recul des Américains, dont l’activité sur le continent a diminué de 24 %. Mais les Chinois pointent à la troisième place. Le secteur du transport connaît une progression importante, notamment avec le financement de grands projets régionaux. Le marché du rail est très porteur, particulièrement en Afrique centrale et de l’Est. Les Chinois et les Indiens, qui ont un appétit démesuré pour les matières premières africaines, devraient s’engager dans la construction et la réhabilitation de plusieurs voies ferrées.
Les projets routiers sont également nombreux, particulièrement au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) a approuvé la mise en place de plusieurs nouvelles liaisons, notamment la route Bamako-Nouakchott ou la réalisation d’une liaison entre le Mali, le Burkina Faso et le Ghana. La Banque africaine de développement (BAD) participe au financement des études et de leur construction. Dans le domaine de l’énergie, le gazoduc d’Afrique de l’Ouest, vieux projet, et le développement des lignes électriques à partir du barrage d’Inga, en République démocratique du Congo, semblent enfin sur le point de sortir des cartons. Ces initiatives étalées sur la durée constituent des opportunités d’affaires pour les années à venir.
Autre filière qui devrait retrouver une certaine dynamique, l’habitat urbain, qui est en développement en Algérie et au Maroc. Le gouvernement algérien a prévu la construction d’un million de logements d’ici à 2009. En Afrique du Sud, l’organisation de la Coupe du monde de football, en 2006, est également génératrice d’activité, bien que les infrastructures sportives soient déjà en partie construites. Trois grands stades restent tout de même à édifier. Enfin, dernier créneau porteur, la construction et l’extension des aéroports. Avec le développement du trafic et l’émergence de nouvelles compagnies nationales ou régionales, l’Afrique aura besoin d’augmenter ses plates-formes aériennes. Au Maroc, par exemple, l’Office national des aéroports (Onda) a engagé un ambitieux plan de développement portant sur 10 milliards de dirhams (1 milliard d’euros) à l’horizon 2010, avec une première phase 2004-2007 dont le financement est de 3 milliards de dirhams.
Le paiement des réalisations et des services associés reste une préoccupation pour bon nombre d’entrepreneurs. « De nombreux États africains nous passent des marchés, mais n’honorent pas totalement leurs contrats ou avec beaucoup de retard », se plaint un responsable européen. Si bien que les grands groupes de construction préfèrent travailler à partir de financements internationaux, un domaine où ils ne règnent plus comme autrefois : en 2003, les sociétés chinoises ont gagné 21 % des appels d’offres de la Banque mondiale en matière de construction, et les groupes français 8 %. Plus rien n’arrête la Chine.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires