Demain, TripoliDouala via Dakar ?

Annoncés à grand renfort médiatique, les projets routiers du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) peinent à se concrétiser. Pourtant, sur le terrain, le réseau prend forme progressivement.

Publié le 29 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Tous les chemins mènent à Rome, dit-on en Europe… En Afrique, toutes les routes, ou presque, mènent aux ports. Le réseau routier a été conçu par les colonisateurs pour évacuer les matières premières de l’intérieur vers la mer. Coton du Sahel, bois, café et cacao de la zone tropicale, minerais… ont déterminé les grands axes Bamako-Abidjan, Ouagadougou-Lomé, Niamey-Cotonou, Yaoundé-Douala, Brazzaville/Pointe-Noire, etc. À tel point qu’aujourd’hui certaines capitales africaines sont plus facilement reliées au reste du monde qu’à leurs homologues, ou qu’aux villes secondaires de leur propre pays. Souvent, le commerce interrégional ne représente qu’une très faible part du commerce extérieur : environ 8 % dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et 5 % dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), en prenant en compte les estimations des échanges informels.
Il y a quelques années, l’Ouganda a mené un rude combat afin d’obtenir de la Banque mondiale un crédit de plusieurs centaines de millions de dollars pour construire des routes. Inlassablement, les responsables ougandais ont répété leurs arguments devant les représentants de l’institution financière internationale. Un bon réseau routier, expliquaient-ils en substance, permettra aux paysans de vendre plus facilement leur production en ville. Par conséquent, ils produiront plus, alors qu’aujourd’hui ils produisent juste pour se nourrir. En produisant plus et en écoulant leur surplus en ville, ils gagneront de l’argent, consommeront, pourront soigner leurs familles et envoyer leurs enfants à l’école. Le pays économisera des devises en réduisant ses importations.
Mais aujourd’hui, à l’heure de l’intégration régionale, même si le désenclavement des zones rurales reste d’actualité, les réseaux routiers ne peuvent plus être pensés dans le seul cadre national. Créer des unions douanières et des zones de libre-échange, réduire les tracasseries aux frontières et utiliser la même monnaie ne suffit pas à stimuler les échanges régionaux. Encore faut-il que les routes, par lesquelles se fait l’essentiel de ces échanges, existent, soient en bon état et capables de répondre à un trafic amené à se développer au fur et à mesure que se réalisera l’intégration. En facilitant les échanges, les routes contribuent également à attirer les investissements : « Le coût élevé des transports dans la région constitue un frein au flux d’investissements étrangers », a fait remarquer le secrétaire général du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa), Erastus Mwencha, devant les ministres des Transports de la région réunis en octobre dernier à Lusaka, en Zambie. De bonnes voies de communication entre les pays, ce sont des débouchés en plus pour les investisseurs souvent rebutés par la petite taille des marchés nationaux africains.
Il était donc assez logique que le Nepad inscrive le développement des routes régionales dans ses priorités. Adopté en juin 2002, le Plan d’action à court terme (PACT) relatif aux infrastructures est l’un des programmes phares du projet panafricain. Il fait la part belle aux projets routiers transfrontaliers, aux interconnexions électriques et aux liaisons ferroviaires. Il est tout aussi logique que la Banque africaine de développement (BAD), en tant que banque de développement régionale, soit appelée à jouer un rôle majeur en faveur du financement de ces projets. Dans le cadre du PACT, la BAD a déjà approuvé le financement de six projets routiers dont le plus important vise à l’établissement d’une liaison entre le Mali, le Burkina Faso et le Ghana (voir tableau). Ce dernier est considéré comme un projet test pour le Nepad : « Il s’agit d’un programme pilote dont la réussite sera déterminante pour les actions futures dans ce secteur », déclarait Olabisi Ogunjobi, vice-président de la BAD, en décembre 2003 lors de la signature de l’accord de prêt avec le Ghana.
Outre qu’il implique trois pays, ce programme routier est caractéristique de l’esprit du Nepad à plusieurs égards. En premier lieu, sa mise en oeuvre a été confiée à une institution régionale, l’Uemoa. « La participation active des communautés économiques régionales est indispensable au succès », rappelle le rapport sur l’état d’avancement du Nepad, présenté à l’Assemblée générale des Nations unies en août dernier. Il appartiendra en revanche à l’Uemoa de contredire un des chapitres du même rapport, celui où l’on traite des difficultés que rencontrent les projets d’infrastructures du Nepad. Y est relevé « le manque cruel de capacités techniques au niveau national et au sein des communautés économiques régionales »… À terme, cette route va offrir au Burkina Faso et au Mali un nouvel accès à la mer, alternatif à celui de la Côte d’Ivoire. Depuis plus de deux ans, par la force des choses, Burkina Faso et Mali ont déjà testé les ports ghanéens comme voie d’accès à la mer. Autre aspect « exemplaire » du projet, il devrait renforcer l’intégration, la coopération et les échanges entre deux pays de l’Uemoa et un de leurs voisins, qui ne fait pas partie de l’Union.
En plus de la dimension régionale des projets, le Nepad insiste sur l’implication du secteur privé. Chaque fois que cela est possible, il est appelé à prendre le relais de l’aide internationale pour financer les projets. Mais lorsque l’on interroge sur ce point Georges Taylor-Lewis, l’un des responsables du Nepad à la BAD, celui-ci répond amèrement, mais sans hésiter : « Nous sommes très déçus ! Le secteur privé n’a pas répondu à l’appel des chefs d’État. Des entreprises se manifestent, elles viennent nous voir pour s’informer, mais après on n’en entend plus parler. » Les mises en concession de routes, qui paraissaient un moyen d’intéresser les multinationales à leur construction et à leur exploitation, semblent vouées à l’échec. « Certes, le climat des affaires n’est pas toujours très propice à l’investissement privé en Afrique, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays », ajoute Georges Taylor-Lewis.
Malgré ce pessimisme, les choses avancent. Le Groupe privé pour le développement de l’infrastructure (PIDG), chargé de coordonner la participation du secteur privé aux projets du Nepad, vient d’être rejoint par un groupe d’hommes d’affaires d’Afrique de l’Est qui compte s’impliquer dans les projets de la région. Et il est toujours question d’achever les deux grands axes commencés en 1982 en vue d’« irriguer » l’Afrique de l’Ouest : l’axe transsahélien, long de 4 560 km entre Dakar et N’Djamena, actuellement bitumé à 83 %, et la « transcôtière » entre Nouakchott et Douala, achevée à 88 %.

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