Arafat : quel héritage ?

Publié le 30 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Arafat est parti, laissant derrière lui un héritage à la mesure de la complexité du personnage. L’indéfectible solidarité avec le peuple palestinien, victime de l’une des plus atroces injustices de l’histoire de l’humanité, et la fascination pour Arafat ont conduit bon nombre de sympathisants de la cause palestinienne (dont je fais partie), volontairement ou involontairement, à une sorte de myopie qui empêchait de prendre conscience des lacunes du mouvement national palestinien. Celles-ci pourraient s’avérer désastreuses avec le départ du raïs. Je ne me permettrais jamais de faire le procès de Abou Ammar, qui a consacré sa vie à la cause de son peuple. Seuls les Palestiniens des Territoires qui subissent quotidiennement les humiliations et les exactions de l’occupation israélienne sont à même de se prononcer sur son leadership. Seulement, il est nécessaire d’évoquer les moments où Arafat, détenteur de tous les pouvoirs au sein des principales institutions palestiniennes, n’a pas pu mettre la cause palestinienne au rendez-vous de l’Histoire.

L’attitude face à l’invasion du Koweït. En privilégiant la tactique au détriment du principe, Arafat a obstinément cherché à créer un parallèle entre l’occupation des Territoires palestiniens et celle du Koweït et a semblé vouloir « troquer » le retrait des troupes de Saddam contre un réajustement de la politique américaine dans le conflit israélo-palestinien. Du coup, il s’est mis à dos l’ensemble de la communauté internationale, y compris les poids lourds du monde arabe, fortement mobilisée au sein de la coalition. Ce faux pas a fait perdre à la cause palestinienne une grande part du crédit
de sympathie dont elle bénéficiait auprès de l’opinion internationale, et surtout le soutien de ses principaux bailleurs de fonds.

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La création de l’Autorité palestinienne. Côté israélien et américain, celle-ci devait signifier le triomphe du rameau d’olivier sur le fusil. Arafat n’a pas su ou pas pu, ou n’a pas voulu, opérer la rupture nécessaire avec le passé combattant du mouvement national palestinien. Au contraire, les factions prônant la lutte armée se sont multipliées, notamment dans les courants islamistes et même au sein du Fatah (les martyrs d’al-Aksa). Arafat aurait pu peser de tout son poids pour faire de l’Autorité palestinienne et du Conseil législatif, premiers jalons du futur État palestinien, les plus hautes instances du système politique palestinien et faire régner l’ordre en conséquence. Au lieu de quoi les instances révolutionnaires ont continué à fonctionner, empêchant du coup la conversion du mouvement national palestinien d’une culture révolutionnaire à une culture de construction nationale. Arafat, surtout, n’a pas réussi à expliquer à son peuple, toujours tenté par la lutte armée, que ce qui était légitime n’était pas toujours productif.

La révolution du paysage médiatique. Avec l’explosion des médias (TV par satellite et Internet), le rôle de la communication comme instrument du pouvoir s’est beaucoup renforcé. À l’opposé des groupes combattants et des organisations islamistes, dont la présence sur les médias lourds a pris une position considérable, l’Autorité palestinienne n’a pas réussi à mettre en place les bonnes structures ni à développer des messages efficients. Son image en a été ternie, et le projet palestinien s’est noyé dans la confusion.

Sharon et le 11 Septembre. L’idéologie de Sharon et la haine que vouait ce dernier à la personne d’Arafat rendaient toute chance de faire avancer les accords d’Oslo impossible. Les événements du 11 Septembre, malgré l’attitude intelligente d’Arafat, ont permis à Sharon de convaincre l’administration américaine, tout acquise au discours de ce dernier,
qu’Arafat était le parrain des attentats suicide commis par des groupes incontrôlables de la résistance palestinienne et qu’il devait être traité en conséquence. Arafat n’a pas
su anticiper l’inéluctable en engageant à temps une redistribution des énormes prérogatives dont il disposait comme prélude à une passation de témoin à une nouvelle
génération politique. Au contraire, il est tombé dans le piège de Sharon en préférant continuer à régner tout en étant assiégé. À force de s’identifier à la cause palestinienne, il n’a pas eu le génie de Nelson Mandela pour permettre le sevrage naturel de cette dernière.
Arafat reste un symbole du dévouement total d’un leader à son peuple. Son action est gigantesque. L’avenir nous dira s’il a bien su préparer sa succession ou si cette dernière se fera dans le chaos au risque d’avorter l’embryon d’État obtenu après de douloureuses tentatives de fécondation.

* Dirigeant d’entreprise, vice-président de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) Hammamet, Tunisie

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