Maltraitances policières en Tunisie : un étudiant ivoirien accuse

Alors qu’il tentait de se rendre en Tunisie pour sa rentrée universitaire, Jules Sanogo, jeune étudiant ivoirien, a été expulsé mercredi vers la Côte d’Ivoire, malgré son acquittement dans une affaire judiciaire. Une arrestation musclée, durant laquelle il affirme avoir été victime de violences psychologiques de la part de la police.

Expulsé à deux reprises de la Tunisie, un étudiant ivoirien affirme avoir été victime de violences psychologiques de la part de la police. (photo d’illustration). © Elvert Barnes/Flickr/CC

Expulsé à deux reprises de la Tunisie, un étudiant ivoirien affirme avoir été victime de violences psychologiques de la part de la police. (photo d’illustration). © Elvert Barnes/Flickr/CC

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Publié le 3 août 2018 Lecture : 5 minutes.

« Sanogo, tu vas voir ! En Tunisie, on ne rigole pas ! » Les paroles du policier raisonne encore dans les oreilles de Jules Sanogo. Pendant plus de douze heures ce mercredi 1er août, il a été isolé en zone de transit à l’aéroport de Tunis-Carthage, en attente de son expulsion vers Abidjan. Cette fois encore, il affirme avoir été victime de violences psychologiques.

Son crime ? Aucun. Le jeune homme a au contraire bénéficié d’un non-lieu du tribunal de première instance de Tunis, dans une affaire de faux document d’identité impliquant l’un de ses amis.

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Arrestation musclée

D’une voix chevrotante, le jeune homme a accepté de livrer son histoire à Jeune Afrique. En novembre 2017, alors qu’il est étudiant à l’école de stylisme Esmod de Tunis depuis trois mois, Jules se rend à l’aéroport pour saluer l’un de ses amis en transit en Tunisie avant son départ pour Nice. À l’enregistrement, l’hôtesse comprend très vite que le document présenté par ce dernier – en l’occurrence une carte de séjour espagnole – était en réalité falsifié. Une fois sur place, la police les arrête tous les deux. Jules, lui, est pourtant en règle, et dispose d’une carte de séjour tunisienne.

« C’était très violent. Ils m’ont emmené dans un bureau et l’un des policiers a commencé à m’interroger, je lui ai expliqué que j’étais étudiant en Tunisie et que j’étais en règle mais il n’a rien voulu savoir. Il m’a crié dessus, il a même fini par s’emporter et par me pousser hors de la pièce », raconte Jules, la voix étouffée de sanglots.

Les deux amis passent la nuit au poste de la police des frontières, « sans lit, sans couverture, allongés à même le sol ». « Les policiers faisaient mine de ne pas nous entendre lorsque nous demandions à aller uriner », continue Jules. Ils ont ensuite été transférés au centre de détention, en attente de l’ouverture de l’instruction. Grâce à l’aide de son avocat, Rami Aziz Jedidi, Jules a pu être libéré une semaine plus tard.

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Première expulsion

Relâché dans la nuit, des policiers l’attendent à la sortie pour exécuter un ordre d’expulsion. « Ils ont même refusé de me laisser passer par chez moi pour prendre mes affaires, j’ai été menotté et directement emmené à l’aéroport », se souvient Jules. Le billet de retour est payé avec l’argent même du jeune homme ; une opération réalisée par les policiers sans l’accord de l’étudiant, affirme-t-il.

Il devait rester sur le territoire pour être à la disposition de la justice, c’est une obligation », assure son avocat

Alerté, son avocat Rami Aziz Jedidi se rend directement au bureau de la police des frontières pour parler à un responsable. « J’ai expliqué à ce responsable que l’instruction était toujours en cours et que mon client était présumé innocent. Il devait rester sur le territoire pour être à la disposition de la justice, c’est une obligation, tant qu’il n’y avait pas eu de jugement définitif. Mais le bureau de la police des frontières ne voulait rien entendre », assure l’avocat à Jeune Afrique. Un substitut du procureur de la République déclare également que « ce sont des affaires internes au ministère de l’Intérieur et qu’il ne peut intervenir ». L’article 18 de la loi relative à la condition des étrangers en Tunisie stipule en effet que « le secrétaire d’État à l’Intérieur peut prendre un arrêt d’expulsion à l’encontre de tout étranger dont la présence sur le territoire tunisien constitue une menace pour l’ordre public. »

Pendant douze heures, je n’ai rien pu manger, ni boire

Le cauchemar recommence

En décembre 2017, le tribunal de première instance émet un certificat de non-lieu en faveur de Jules Sanogo. Aux yeux de la justice, l’étudiant est donc libre de retourner sur le territoire tunisien. Il effectue alors une demande auprès de l’ambassade de Tunisie à Abidjan pour retourner en Tunisie, afin de poursuivre ses études. Selon lui, l’ambassade lui a assuré qu’il n’y avait pas d’objection à son retour.

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Jules Sanogo prend donc l’avion le mercredi 1er août, mais, à sa grande surprise, il est de nouveau arrêté à son arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage. Le cauchemar recommence. « J’étais face aux policiers, au poste de l’aéroport, et ils se moquaient de moi. Dès que j’ouvrais la bouche, ils se mettaient à rire. Ils n’arrêtaient pas de répéter mon nom, « Sanogo ! Sanogo ! », tout en s’esclaffant. Pendant douze heures, je n’ai rien pu manger, ni boire », relate Jules. Escorté jusque dans l’avion « comme un criminel », Jules certifie que sa valise ne lui a pas été rendue à son retour à Abidjan.

Si la personne est interdite d’entrée sur le territoire, aucune négociation n’est possible », précise un policier

La police nie tout mauvais traitement

Contactée par Jeune Afrique,  la police des frontières de l’aéroport de Tunis-Carthage nie tout mauvais traitement. « Il a bien sûr été nourri ! Nous n’aurions jamais laissé quelqu’un sans nourriture ou sans eau », s’insurge un agent de la police des frontières. « Pour ce qui est de l’expulsion, nous ne faisons qu’exécuter les ordres. Si la personne est interdite d’entrée sur le territoire, aucune négociation n’est possible. Elle doit impérativement rentrer chez elle, peu importe le fond du dossier », conclut-il.

De son côté, le parrain de Jules, Jean-Yves Massenet, a tenté en vain de solliciter l’aide de l’ambassade de Tunisie en Côte d’Ivoire et le ministère des Affaires étrangères, ainsi que le ministère de la Justice. Malgré nos sollicitations, ces institutions n’ont pas répondu à nos appels. 

Malgré tout, Jules espère encore retourner en Tunisie. Ce passionné de stylisme confectionne déjà ses propres vêtements et aspire à continuer sa formation. « Cette école, c’est le rêve d’une vie. Je ne peux pas y renoncer », lâche-t-il.

Un racisme systémique ?

« L’expulsion est supposée être une punition. Comment peut-on être puni lorsqu’on est innocent ? », s’interroge Rami Aziz Jedidi. « Le plus triste, c’est que ces décisions arbitraires d’expulsion, avant même la tenue d’un procès équitable, sont courantes pour les étudiants subsahariens. Un groupe d’étudiants camerounais et ivoiriens ont par exemple été emmenés jusqu’à la frontière algérienne et ont été forcés par les policiers de la traverser seuls », se désole l’avocat, en parlant d’un cas dont il a eu vent.

Les étudiants subsahariens en Tunisie sont passés de 12 000 en 2010, à 4 500 en 2018. Une baisse qui s’explique notamment par la lourdeur et la complexité administrative. En effet, l’obtention d’une carte de séjour prend parfois jusqu’à six mois, alors qu’elle n’est valable que neuf mois. Tout retard dans le dépôt des pièces entraîne également de lourdes pénalités financières.

De son côté, le racisme s’exprime lui aussi de manière plus marquée dans le pays. Depuis l’agression de trois étudiants d’origine congolaise, fin décembre 2016, l’association des étudiants subsahariens en Tunisie ne cesse d’enregistrer des cas de violences physiques.

Dans ce contexte, l’ambition affichée par le ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui d’accueillir plus de 20 000 étudiants africains à l’horizon 2020, en vue de devenir un hub régional en matière d’enseignement et de formation, semble difficile à réaliser. Un projet de loi sur la lutte contre la discrimination raciale est toujours au point mort à l’Assemblée.

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