Wesley Clark

Hostile à la guerre en Irak, l’un des généraux américains les plus décorés depuisEisenhower fait une entrée tonitruante dans la campagne présidentielle. Avec la bénédiction des Clinton.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

En l’absence de Hillary Rodham Clinton et de l’ancien vice-président Al Gore, la course à l’investiture démocrate pour la présidentielle de novembre 2004 est totalement débridée. Imprévisible et folle. Dix candidats sont actuellement en lice pour les primaires, en février-mars(*).
C’est le très conservateur Joseph Lieberman qui avait pris le meilleur départ. Au début de l’année, plus de 20 % des électeurs démocrates se prononçaient en sa faveur. Mais l’ancien colistier de Gore (en 2000), qui est le premier juif américain à briguer la magistrature suprême, souffre d’un handicap insurmontable : il approuve sans condition la guerre en Irak, alors que 60 % des électeurs démocrates y sont désormais hostiles.
Logiquement, une nouvelle étoile a alors fait irruption dans la galaxie démocrate. Ancien gouverneur du Vermont, Howard Dean (55 ans) était un quasi-inconnu il y a un an. Début septembre, il arrivait, dans les sondages, en tête du peloton des challengeurs. Sa trajectoire météorique n’a qu’une explication : son opposition de la première heure à l’intervention des troupes américaines du côté de Bagdad. Mais, trop marqué à gauche – il est un peu le candidat anti-establishment -, il ne pèserait sans doute pas lourd dans l’hypothèse d’un duel contre Bush : aux États-Unis comme ailleurs, une élection présidentielle se gagne au centre.
Le 17 septembre, l’annonce de la candidature du général Wesley Clark, ancien commandant en chef des forces de l’OTAN en Europe et adversaire résolu de la guerre en Irak, a, une nouvelle fois, bouleversé la donne. Cinq jours plus tard, l’hebdomadaire Newsweek le plaçait en tête des candidats pour les primaires avec 14 % des intentions de vote, alors qu’il n’en recueillait que 3 % quelques semaines auparavant. Le 25 septembre, poursuivant son ascension, il en était, selon un sondage USA Today/CNN/Gallup, à 22 %. Plus incroyable encore, une autre enquête (le 23 septembre) le donne gagnant contre Bush : 49 % contre 46 %. En difficulté contre tous ses adversaires potentiels, le président sortant est également devancé par le terne John Kerry (48 % contre 47 %). Bien sûr, rien n’est joué, mais l’information – capitale – est que Bush n’est plus invincible.
Le général était depuis longtemps en embuscade. Prudent, il a laissé ses principaux concurrents se découvrir et s’essouffler avant de se lancer dans la mêlée. Mais ses partisans étaient depuis plusieurs mois sur la brèche, notamment par le biais de deux sites Internet. Il est parfaitement conscient de l’ampleur du mouvement antiguerre que Dean a contribué à susciter dans l’électorat démocrate. Simplement, il s’estime mieux placé que lui pour l’emporter. Lui, au moins, ne risque pas d’être accusé de manquer de patriotisme ! Quatre fois blessé au Vietnam, où il commandait une division d’infanterie mécanisée, Clark est l’un des militaires américains les plus décorés depuis Dwight Eisenhower. Sa candidature n’aurait-elle d’autre résultat que d’inciter George W. Bush à remiser au placard ses blousons d’aviateur et à cesser de plastronner sur des porte-avions qu’il faudrait l’en remercier.
Né à Chicago en 1944, il vit depuis toujours à Little Rock (Arkansas). Comme Bill Clinton, dont il est politiquement très proche. Élevé dans le protestantisme, il n’a découvert que tardivement ses origines juives (son grand-père a fui la Russie pour échapper aux pogroms) avant de se convertir au catholicisme. Sorti major de sa promotion à l’Académie militaire de West Point à 17 ans, il a fait une partie de ses études à Oxford, au Royaume-Uni. Comme Clinton, encore… Il est titulaire de maîtrises en philosophie, en sciences politiques et en économie. Rien à voir, donc, avec un baroudeur bas de plafond, même s’il en a, dit-on, le caractère impérieux. Après une brillante carrière au Pentagone, il s’est vu confier le commandement de la zone Amérique latine et Caraïbes, puis celui des forces de l’OTAN en Europe. C’est à ce titre qu’il a dirigé les opérations militaires pendant la guerre du Kosovo, en 1999, n’hésitant pas, à l’occasion, à intervenir personnellement en terrain ennemi pour sauver des soldats prisonniers de leur blindé accidenté. Un peu trop enclin à court-circuiter ses supérieurs pour traiter directement avec la Maison Blanche, il a pourtant fini par indisposer le Pentagone, qui a mis prématurément fin à sa mission.
Aujourd’hui à la retraite, il travaille comme consultant pour CNN. Depuis des mois, il ne cesse de répéter que l’Irak de Saddam Hussein n’a jamais constitué une menace pour les États-Unis. Et que, pour espérer gagner la paix, la mise en place d’un plan soigneusement concerté, fondé sur « le consensus et le respect du droit international », eût été préférable aux dangereuses improvisations néoconservatrices. Au fond, ses positions multilatéralistes ne sont pas très éloignées de celles d’un Colin Powell, l’actuel secrétaire d’État. D’ailleurs, les deux hommes se connaissent bien et s’apprécient.
En politique intérieure, les propositions de Wesley Clark sont sans doute beaucoup plus floues. On sait qu’il est favorable à l’instauration d’une couverture médicale de base, mais ne souhaite pas, pour financer cette réforme, remettre en cause l’ensemble des baisses d’impôt décrétées par l’administration Bush. On sait aussi qu’il est favorable à l’avortement et à l’octroi de droits pour les homosexuels dans l’armée. Tout cela ne fait sans doute pas un programme, mais c’est, pour l’instant, secondaire.
Certains lui reprochent son inexpérience politique. Il répond qu’en tant qu’ancien commandant en chef de l’OTAN il a l’habitude des négociations au plus haut niveau. Et qu’on lui a souvent fait grief d’être un militaire « trop politique ». Pour éviter les chausse-trapes de la campagne électorale, il peut en outre compter sur un staff performant, dont les membres sont, pour la plupart, d’anciens collaborateurs de Clinton.
Autre handicap supposé : l’argent. Il est vrai que ses partisans n’ont, à ce jour, collecté qu’un peu plus de 1 million de dollars. Soit vingt fois moins que Dean ou que Kerry. Et quatre-vingts fois moins que Bush. Mais ses équipes sont en place, et il peut espérer rattraper rapidement une partie de son retard. Et puis, il a choisi de mener une campagne courte, donc moins coûteuse…
« Il y a deux stars au Parti démocrate : Hillary et Wesley Clark », déclarait récemment Bill Clinton. Du coup, des commentateurs plus ou moins bien intentionnés, notamment William Safire dans le New York Times, soupçonnent l’ancien chef de l’exécutif et son épouse des plus machiavéliques desseins. On peut en effet imaginer que, jugeant les positions de Bush inexpugnables dans le climat d’hystérie guerrière qui balaie les États-Unis depuis deux ans, les Clinton aient, dans un premier temps, choisi de concentrer leurs efforts sur la présidentielle de 2008. Et de confier à un ami sûr – le général Clark – le soin d’occuper le terrain lors du prochain scrutin. Pour neutraliser d’éventuels concurrents. À partir de là, trois scénarios.
1. Le soufflé Wesley Clark retombe aussi rapidement qu’il était monté, hypothèse que confortent les cafouillages du général au cours de sa première semaine de campagne. Pour sauver les meubles, Hillary pourrait alors être contrainte de se jeter à l’eau, quatre ans plus tôt que prévu. « C’est vraiment une décision qu’elle doit prendre elle-même », vient de déclarer son mari, en Californie. Ce qui est une manière de ne pas écarter l’éventualité.
2. Clark réalise une campagne honorable, mais est néanmoins battu par Bush, en novembre 2004. Hillary peut alors préparer sereinement l’élection suivante.
3. Contre toute attente, le général l’emporte face au président sortant. Et les Clinton sont pris alors à leur propre piège. Comment croire, en effet, que Wesley Clark puisse accepter de s’effacer devant l’ex-First Lady en 2008 ?

* Outre Clark, Dean et Lieberman, il s’agit du sénateur John Kerry, de Dick Gephardt,
l’ancien chef de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, de Dennis Kucinich, de Bob Graham, de John Edwards, de Carole Moseley Braun et du révérend Al Sharpton. Ces deux derniers représentent la communauté africaine-américaine.

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