Saddam, héritier de Nabuchodonosor

Pour ressusciter Babylone, le raïs irakien avait fait reconstruire un des trois palais originels. L’édifice a échappé aux destructions de la guerre.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Babylone était forcément un défi pour la mégalomanie de Saddam Hussein. Il ne pouvait se contenter de quelques monticules de terre kaki et de pierres éparses, banals vestiges d’un glorieux empire. Sous son règne, deux mille cinq cents ans d’histoire mésopotamienne devaient revivre. Il décida que cette renaissance serait matérialisée par la reconstruction à l’identique de l’un des trois palais originels.
Peu importe que personne ne sache vraiment à quoi ressemblait l’imposant édifice. Les archéologues ont crié à l’infamie, parlant de Disneyland pour despote. Saddam Hussein a passé outre. Il transgressait pourtant l’un des principes archéologiques les plus sacrés : préserver ce qui est plutôt que recréer ce qui a été.
Comme à son habitude, il est allé jusqu’au bout, et, une fois l’ouvrage achevé, les foules l’ont admiré. Et il aura probablement le dernier mot sur les célèbres ruines. Le nom de Babylone est chargé de signification pour les Irakiens, nourris depuis des lustres du mythe faisant d’eux les dignes descendants d’hommes qui ont rien de moins qu’inventé la civilisation. À dire vrai, de cette splendeur passée, il ne restait que des gravats, les pièces de valeur ayant été expédiées, il y a de cela bien longtemps, vers les musées européens.
La réplique coûtera 5 millions de dollars. Une fois achevé, l’édifice, réalisé en un tournemain par des équipes qui, sur la fin, travaillaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre en rotation permanente, ressemblait bel et bien à un palais. « Je n’aime pas ça », déclare Samia Gaylani, historienne irakienne de l’art rentrée au pays après des années d’exil pour aider à la reconstitution du patrimoine culturel irakien. Elle corrige aussitôt : « Mais si ça plaît aux Irakiens, pourquoi pas ? Il ne s’agit pas seulement de Saddam. Les Irakiens trouvent toutes ces ruines très laides. Ils préfèrent quelque chose d’impressionnant comme ce palais. »
Donny George, le conservateur adjoint du musée de Bagdad, se rappelle comme si c’était hier le jour où Saddam est venu visiter les ruines, exigeant que le palace soit reconstruit à temps pour le Festival des arts de Babylone de septembre 1987. Le président ne parla pas beaucoup – il écouta surtout -, mais il demanda comment les conservateurs s’y prenaient pour savoir à quelle date avait été bâti le palais antique. George lui montra l’une des pierres originelles, estampillée du nom de Nabuchodonosor II et portant la date de construction, aux environs de 605 avant J.-C. Il demanda immédiatement que les pierres utilisées pour la nouvelle construction portent une inscription similaire.
« C’était le président », dit George, qui a essuyé une volée de bois vert au sein du département d’archéologie de l’époque. Le résultat est maintenant dissimulé au plus profond des murs, où de nombreuses pierres portent l’inscription suivante : « Sous le règne du vaillant Saddam Hussein, président de la République, que Dieu le garde, gardien du grand Irak, promoteur de sa renaissance et bâtisseur de sa grande civilisation, la reconstruction de la grande ville de Babylone a été achevée en 1987. »
George, qui était alors responsable du site de Babylone, se souvient combien il a été difficile de recréer le palais d’époque (au moins aussi grand que le musée du Louvre à Paris) sans l’ombre d’un plan de l’original. Ainsi des arches élancées qui relient la myriade de salles : personne ne connaît précisément leur hauteur ou celle des murs de soutien. On sait que, dans la région, les arches des premiers palais royaux s’élevaient grosso modo à une hauteur représentant trois fois la largeur de la porte principale. Donny George jugea que les palais de Nabuchodonosor devaient avoir été bâtis à une tout autre échelle que ces premiers édifices et il tripla les dimensions des arches. « C’est comme les autres palais massifs que Saddam faisait construire, explique George. Ils sont faits pour rester gravés dans les mémoires jusqu’à la nuit des temps. »
Les seuls éléments d’époque qui subsistent au musée de Bagdad sont deux hauts pans de murs. Tous les autres objets sont des copies. Les tablettes d’argile et les statuettes ont été évacuées de Bagdad pour les préserver des pillards. Sans aucun doute, les Irakiens vous diront que le pillage le plus grave a eu lieu en 1914, quand les Allemands, qui ont été les premiers à explorer le site, se sont empressés d’envoyer la célèbre porte d’Ishtar au musée Pergamon de Berlin. Le reste du butin a suivi.
Des vestiges tape-à-l’oeil des années Saddam ont été démolis un peu partout. Mais des experts qui ont fait récemment le tour du pays ont déclaré que le palais babylonien avait survécu. « Nabuchodonosor était un despote, et Saddam était un despote, déclare Gaylani. Auriez-vous eu envie de détruire ce que Nabuchodonosor a construit ? Non. Cela fait partie de l’Histoire, il faut l’accepter. »

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