Poker menteur

Contestée par les Forces nouvelles, la nomination des ministres de la Défense et de la Sécurité risque de mettre le feu aux poudres.

Publié le 30 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Comme annoncé quarante-huit heures plus tôt, les ministres issus des Forces nouvelles (ex-rébellion) n’ont pas assisté, le 25 septembre, au Conseil des ministres. Sur les neuf qui devaient y siéger, seul Roger Banchi, à la tête des Petites et Moyennes Entreprises, a
pris part aux travaux, avant d’être exclu par ses camarades du Mouvement populaire
ivoirien du Grand Ouest (MPIGO). La ligne de conduite arrêtée le 23 septembre, au lendemain de la nomination du ministre de la Défense et de celui de la Sécurité, connaissait son premier couac. Après deux jours de rencontre dans son fief de Bouaké, l’ex-rébellion avait en effet décidé de suspendre sa participation au gouvernement de réconciliation nationale, au programme national de désarmement et au comité national
pour la réunification.
Le communiqué, laconique, qui annonce la décision, ne traduit ni la durée ni l’âpreté des discussions, polluées par l’affaire « IB », opposant une partie du commandement militaire et les plus politiques du mouvement. À l’arrivée, de longues palabres entre les partisans d’un départ pur et simple de l’équipe du Premier ministre Seydou Elimane Diarra et les tenants d’une ligne plus modérée, appelant seulement au boycottage pour tirer la sonnette d’alarme.

Et, selon Guillaume Soro, tête politique de l’ex-rébellion, « la reprise de la guerre n’est plus une utopie ». Le ministre d’État chargé de la Communication précise même que, « face à un surarmement manifeste du camp présidentiel, au foisonnement des milices
tribales, […] à la faiblesse évidente de la communauté internationale, les risques de
déflagration sont patents… »
Il n’est pas sûr cependant que cela aille au-delà de simples rodomontades. À en croire Soro lui-même, la démarche de ses camarades traduirait une « luxation » plutôt qu’une « fracture ». Peu importe s’il annonce dans le même souffle l’organisation prochaine d’un « forum économique » que d’aucuns ont vite assimilé à une volonté d’indiquer que cette
partie de la Côte d’Ivoire n’est pas plus pauvre que certains pays du continent, qu’il suffit de prendre en main son économie pour s’apercevoir qu’elle recèle des ressources insoupçonnées. Libre interprétation, car, pour Soro, « il ne s’agit pas de sécession ». Mais cette crise n’est pas une crise parmi tant d’autres. Peut-être est-ce même la plus significative depuis les accords d’Accra, le 8 mars, qui ont permis la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale.

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Ni la France, qui en appelle à la « loyauté » les parties prenantes dans le processus, ni le Comité international de suivi qui leur répète qu’il n’a pas été installé pour « mettre la Côte d’Ivoire sous tutelle », n’en sont dupes. Paris a décidé de maintenir ses troupes (environ 4 000 hommes) jusqu’au terme de la transition en principe jusqu’à l’élection
présidentielle d’octobre 2005. Le président du Comité, le Béninois Albert Tévoédjrè,
accusé de mollesse, se défend en indiquant qu’il avait vu venir cette nouvelle crispation dès la mi-août et en avait saisi par courrier le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Il devait même obtenir que le Conseil de sécurité se réunisse malgré un agenda chargé le 7 octobre pour se pencher de nouveau sur le cas de la Côte d’Ivoire.
De fait, depuis plusieurs mois, la désignation des ministres de la Défense et de la
Sécurité constituait un test. L’absence de consensus dans leur nomination, regrettée et
dénoncée notamment par le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara et par les Forces nouvelles qui veulent en faire la cause d’une (possible) rupture, semble n’être que l’arbre qui cache la forêt. L’enjeu est de taille. Pour Soro et ses camarades comme pour les autres signataires des accords de Marcoussis de la fin janvier à l’exception du Front populaire ivoirien, le FPI du président Gbagbo , il s’agit, en se focalisant sur ces dernières nominations, de ne pas laisser toute l’initiative au chef de
l’État. Notamment sur les chapitres autrement plus importants prévus dans la « feuille de route » de Marcoussis : l’identification des personnes, le code de la nationalité, le foncier rural, la révision de l’article 35 de la Constitution relatif aux conditions d’éligibilité…

La crainte de ces formations politiques est si réelle qu’elles tenaient conclave au siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) au moment même où l’ex-rébellion se réunissait à Bouaké, les 22 et 23 septembre. Et ont envoyé des messagers à Soro pour lui dire que, sur le fond, elles étaient d’accord avec lui (pour marquer le coup), mais qu’il ne fallait pas aller jusqu’à la rupture. Elles ont même préparé un document qui devait être signé le 26 septembre répertoriant tous les points de blocage imputés au président Gbagbo et décidé de le faire parvenir, entre autres, aux Nations unies, à l’Union européenne, au Comité de suivi…
Mais la marge de manuvre est étroite, qui consiste à faire monter la pression sans tout faire sauter. D’autant que Gbagbo, qui dit avoir « fait sa part du travail », répète
qu’il est maintenant « fatigué » et en appelle à la mobilisation de ses partisans, dont le dernier n’est pas Charles Blé Goudé. Le chef de file des jeunes « patriotes » envisage d’ailleurs d’organiser, le 2 octobre, une grande manifestation pour célébrer l’anniversaire du premier grand rassemblement tenu à Abidjan au lendemain de la tentative
de coup d’État du 19 septembre 2002.
Pour les partisans du président Gbagbo comme au sein des « marcoussistes », le jeu est clair : présenter l’autre camp comme celui des maximalistes, l’isoler dans l’espoir d’obtenir qu’il recule. Une dangereuse partie de poker menteur.

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